jeudi 28 mai 2009

Monsieur Hector (3)



Monsieur Hector - 3

La naissance de Monsieur Hector, voulue, attendue, espérée, avait comblé ses parents. Après ce fils enfin né, ils ne souhaitaient plus rien, surtout que l'arrivée de l'enfant avait été, pour sa mère, une épreuve extrêmement douloureuse, longue et cruelle, dont elle fut longue à se remettre. Le père autant que la mère, par une étrange coïncidence, avaient été tous deux des enfants uniques : aussi Monsieur Hector était-il destiné, dans leur esprit, à rester le seul exemplaire de leur progéniture.

Pourtant, dix ans après, à leur profond désappointement, la mère de Monsieur Hector eut le grand déplaisir de mettre une petite fille au monde, et cette naissance, quoique l'enfant fût chétive et malingre, fut encore plus pénible que la première. Au début, on crut que le bébé ne vivrait pas, tant c'était une pauvre chose que cette petite fille-là ; on se hâta de la faire ondoyer, pour que la mort ne la vienne pas surprendre hors de la chrétienté, car on avait le sens du devoir, et on l'appela Diane, parce que trônait sur le dessus de la cheminée du petit salon une garniture de pendule laissant voir la déesse mythologique, sur quoi son père posa les yeux au moment où il entendit le premier cri de cet enfant dont il voulait si peu.

Contrairement à Monsieur Hector, dont la nourrice avait pris ses quartiers à domicile, la petite Diane, elle, quitta le lieu où elle avait vu le jour, et fut placée chez des métayers ; on pensait, disait-on, que l'air de la campagne et la vie saine qu'on était censé y mener la fortifieraient, et puis, si elle devait mourir, en aurait-on ainsi moins de chagrin, la connaissant si peu. Mais c'était jeter là un voile pudique sur la vérité, car en fait, personne ne voulait de cette intruse dans le foyer paisible qui s'était constitué. Monsieur Hector sut qu'il avait une soeur, qu'on ne lui montra pas, et rien ne changea pour lui. Lorsqu'il en fit état on lui répondit qu'elle était au loin et on n'en parla plus. Il cessa d'y penser. La vie reprit son cours, paisible, sauf que la mère de Monsieur Hector était désormais plus souvent malade qu'avant, et plus souvent fatiguée. Il n'y avait, dans le coeur de ses parents, de place que pour un seul enfant, et cette place, il l'occupait toute entière. On oublia la petite exilée. Mais le père de Monsieur Hector, qui avait des principes, paya tout de même à son métayer la pension de l'enfant, et fournit, deux fois l'an, un trousseau de bonne facture, mais simple, adapté pensait-il à la vie campagnarde, où l'on s'habille avec moins de recherche qu'en ville.

La petite Diane vécut là sept ans. Pas une seule fois sa mère ne vint la voir.

A ce moment, on lui trouva une place dans un pensionnat de filles que tenaient des religieuses dans la ville voisine, et elle quitta à jamais la ferme où elle avait grandi, et les métayers qui en avaient eu soin ; elle pleura, car elle n'avait jamais connu qu'eux, et les quitter lui fit chagrin ; ils n'avaient point été méchants, et avaient eu pitié de cette enfant de riches, délaissée, qu'on leur avait confié si petite. Et la métayère, qui avait un coeur de mère même pour l'enfant qui n'était pas à elle, ne dit rien mais n'en pensa pas moins.

La rentrée fut un peu repoussée, et Diane dut passer quelques jours dans sa famille, qu'elle n'avait jamais vu. Elle se trouva ainsi en face d'un monsieur grave et important, son père, d'une dame qui l'observa sans aménité, sa mère, et d'un jeune homme de dix-sept ans, blond et replet, Monsieur Hector lui-même, qui regarda avec curiosité cette soeur oubliée qui lui tombait, pour ainsi dire, du ciel. Elle fut intimidée. Elle ne savait que leur dire, ils ne savaient qu'en faire, et personne n'eut pour elle un mot d'accueil ni de bienvenue. On lui donna une chambre, la permission de jouer dans les jardins, et l'injonction de ne pas faire de bruit.

La petite fille pleura souvent dans ces jours-là, tant elle se sentit délaissée. Incertaine sur ce que serait ce pensionnat où elle allait entrer, elle regrettait ce qu'elle avait quitté, et déplorait la solitude où elle se trouvait. On ne s'occupait pas d'elle, et de son propre chef elle n'osait pas rejoindre au salon sa famille qui vivait de manière habituelle, en vase clos.

Le personnel de maison, ébahi, considérait cette enfant silencieuse aux yeux mouillés, se demandant quelle attitude prendre. Elle fit pitié, on ne fut point cruel, mais on n'eut pas pour elle les égards exigés pour Monsieur Hector. Diane ne s'en formalisa pas. Elle était douce et effacée, pensait que les choses étaient ainsi faites, et conclut que les filles étaient censées vivre à l'arrière-plan. Elle s'appliqua à ne pas déranger, et regarda de loin les jeux de son aîné.

Elle avait tout loisir de se promener à sa guise, et passait dehors le plus clair de son temps, admirant les jardins qui pourtant n'étaient pas encore ce que Monsieur Hector en fit plus tard, et la vaste demeure, avec le sentiment confus de vivre dans un rêve. Elle garda à jamais les impressions qu'elle reçut alors, de ces allées bordées de buis, des grands bâtiments blancs de pierre de taille, des statues du parc, et de la profusion de fleurs inconnues foisonnant dans les parterres si bien entretenus.

Elle préféra vite rester seule, car la gêne qu'elle ressentait à se trouver inopinément devant les siens lui était une torture. Leur indifférence blessait ce petit coeur qui aurait bien voulu aimer, et qui aurait été heureux d'être aimé en retour ; mais lorsque d'aventure elle croisait sa mère au détour d'une allée, celle-ci avait un tel regard de surprise en découvrant Diane devant elle, semblant se demander "mais qui est donc cette enfant dans mes jardins ?", avant de se rappeler qu'elle avait une fille, hélas ! et qu'il fallait bien endurer sa présence quelques jours, que la petite en était toute chagrine et se hâtait de disparaître.

Aussi fut-elle soulagée de rejoindre son pensionnat, ne regrettant que la beauté des lieux, et non ses habitants. Quant à Monsieur Hector, qu'elle n'avait point gêné, il ne se soucia d'elle pas plus qu'avant, heureux tout de même que la famille se retrouve enfin "entre soi", comme il le fit ingénument remarquer le soir même, énonçant à l'occasion la pensée secrète de ses plus proches ascendants.

Diane fut heureuse au pensionnat. D'abord, parce que son père, qui pourtant trouvait que le peu qu'on dépensait pour elle était autant de moins dont profitait son rejeton chéri, eut néanmoins assez de scrupules pour ne pas la confier à la classe des indigentes. Car chaque division du pensionnat comptait deux classes : l'une, payante, accueillait les pensionnaires qui avaient un avenir, et l'autre, gratuite, recueillait des petites que leur condition destinait plus tard à prendre un état pour gagner leur vie, et que la charité des uns ou des autres avait recommandé aux soins de la congrégation. Ensuite, parce qu'elle trouva là, enfin, la gentillesse et l'affection dont elle avait tant soif, en la personne de Soeur Clotilde, qui, l'ayant questionnée sur ce qu'elle avait vécu jusqu'alors, et s'étant entretenue avec le père, comprit dans quel désert la petite fille avait pu séjourner. La compassion fut d'abord son premier mouvement, puis vint l'affection, parce que la petite était douce et aimante, gaie et bonne, et point trop sotte. Aussi mit-elle tous ses soins à former cette pauvre abandonnée.

La petite Diane resta là neuf ans, heureuse puisqu'on l'aimait, entre Soeur Clotilde et ses camarades. Pas plus qu'avant sa mère ne vint la voir, encore moins Monsieur Hector, pour qui elle existait à peine. Son père écrivit quelquefois, des lettres assez impersonnelles, en réponse aux voeux qu'elle ne manquait pas d'adresser en fin d'année.

Et Soeur Clotilde, ainsi que l'avait fait avant elle la métayère, devant le délaissement de la malheureuse créature, pinça les lèvres et n'en pensa pas moins. Mais alors que la métayère s'était tue par crainte de perdre une bonne place, Soeur Clotilde le fit à cause de ses voeux, et seule la charité chrétienne la retint d'écrire à ces gens tout le bien qu'elle pensait d'eux - ce dont elle s'accusa d'ailleurs à confesse, comme d'une mauvaise pensée envers d'infortunés parents que la Divine Providence avait si peu doté d'entrailles.
(à suivre)

2 commentaires:

  1. pour la vitalité et la belle écriture, je vous retourne le compliment, ma chère!
    Après bien entendu, l'avoir accepté et savouré comme une goutte de chartreuse avant d'aller au lit....
    PP

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  2. merci ! hum...la Chartreuse avant d'aller au lit...est-ce bien raisonnable ? que dirait Monsieur l'Evèque ?

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allez, dites-moi tout !