mercredi 27 mai 2009

Monsieur Hector (2)



Monsieur Hector - 2

Or, on se trompait. Il restait quelqu'un à Monsieur Hector, quelqu'un d'ignoré, quelqu'un dont l'existence avait été soigneusement effacée, quelqu'un dont il ne faisait jamais état, deux personnes même ! car ce quelqu'un était sa soeur, et cette soeur avait un fils.

Le père de Monsieur Hector avait pris femme un peu sur le tard, ayant tout d'abord augmenté et consolidé dans les colonies une position de fortune déjà assez confortable. Il sut avec adresse faire fructifier ses biens, et trépignait d'impatience, car les années passaient sans qu'un seul héritier vînt continuer sa dynastie. Ils s'en désolaient tous deux, sa femme et lui, au point même qu'un jour, rougissante de toute sa pudeur outragée, la mère de Monsieur Hector osa s'en ouvrir à son médecin de famille, lequel, après la nécessaire auscultation, l'adressa à un éminent confrère de la Faculté, qui lui conseilla la patience, car il ne paraissait rien d'anormal dans la disposition de ses organes.

On attendit donc, avec plus ou moins de patience et de résignation, que la nature fît son oeuvre. Et dix ans après leur union légitime naquit enfin un fils que l'on nomma Hector, et qui devint, pour toute la domesticité, "Monsieur Hector". Il avait été tellement attendu qu'on l'adula, et que rien ne fut trop beau pour lui. Il serait l'héritier du nom et l'héritier des biens, on ne négligea rien. Sorti des mains de sa nourrice, il eut les meilleurs maîtres qu'on put trouver, et n'alla jamais au collège, ses parents répugnant à s'en défaire. On le choya comme une plante de serre, ce qui eut pour effet de l'habituer à recevoir comme un dû tout ce qu'on lui offrait, et en fit un être assez content de soi, assez égoïste et assez jouisseur. Il ne fut point coléreux, car le sol étant aplani sous ses pieds, il n'avait qu'à vouloir pour avoir : n'ayant personne qui lui résistât, il trouvait tout le monde charmant. Mais il ne s'intéressait qu'à lui, et si quelque indisposition de sa bonne contrariait un projet de sortie ou d'amusement quelconque, il maugréait contre l'ennui de se voir privé d'un plaisir, sans même un mot de bonté ou d'inquiétude pour la pauvre malade. L'indifférence à autrui semblait être un trait marquant de son caractère. Enfant, comme on craignait pour lui les mauvaises fréquentations, il dut apprendre à jouer seul le plus souvent, ou bien se contenter de la compagnie des enfants du personnel, ce qui ne fit rien pour lui rendre le sens des réalités, pas un seul de ses compagnons n'osant le contredire : les petits avaient été bien chapitrés par leurs parents, et savaient qu'à contrarier Monsieur Hector ce pourrait être le renvoi, et la misère pour la famille. Aussi, bon gré mal gré, en passaient-ils par tous les caprices de celui-ci. L'effet de telles méthodes éducatives sur un caractère malléable d'enfant, l'empreinte qui est alors donnée à sa manière de se considérer et de considérer autrui, est hélas déplorable, et difficilement réformable par la suite.

Personne ne vint corriger les défauts d'éducation de Monsieur Hector, et il grandit infatué de lui-même, égoïste, jouisseur, mais gai malgré tout, jovial même, car la vie lui était clémente. Il se prit de passion pour la botanique, se fit exempter du service militaire ( il n'était pas question qu'un jeune homme à qui était promis un si bel avenir aille courir des risques stupides ! la patrie avait bien d'autres conscrits moins bien partagés par le sort à offrir au dieu Mars ! quant à la vie de chambrée, pouah !), et fut introduit dans le monde, où il ne brilla guère, semblant assez singulier à tous ces jeunes gens de son âge qui avaient eu, eux, des parents moins aveugles pour les guider jusqu'à l'âge d'homme.

Il fut déçu de son peu de succès, ayant pensé qu'il en irait du monde comme de ses parents et de ses domestiques, et qu'il n'aurait qu'à paraître pour éblouir ; il n'avait pas assez l'habitude de l'introspection pour trouver les causes de cette froideur, jugea que le monde n'était point fait pour lui, ou lui point pour le monde, et se désintéressa de ceux qu'il n'intéressait pas.

A la mort de ses parents, survenue lors d'une épidémie de grippe à peu de semaines d'intervalle, il se retrouva riche, et seul (ou presque, car il va bien falloir parler de cette soeur absente !). Il eut tout de même du chagrin, et se sentit assez solitaire les premiers temps. Puis il se fit à l'idée d'être le seul maître d'une vie confortable, tournée selon ses aspirations, et prit des habitudes.

Il instaura ses déjeuners mensuels en compagnie des seuls êtres avec qui il était encore en relation, et se trouva satisfait d'une existence bien réglée.
(à suivre)

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allez, dites-moi tout !