mardi 23 juin 2009

Bernard j



Bernard (10)

Bernard salua d'un geste bref, se détourna et sortit. L'autre avait déjà replongé dans son moteur. Mille cinq cent, ça faisait du fric, mais il les avait Bernard, tout juste mais les avait. Il en avait assez bavé pour ça, du reste, parce que c'était pas avec un RMI qu'on pouvait bouffer, il avait bien fallu trafiquer un peu un truc ou un autre, pas trop grave mais pas trop net non plus, pour rentrer ce fric. Il s'était constitué une cagnotte Bernard, bien planquée. Il se sentait le ventre noué, respirait mal. Toute la journée, incapable de tenir en place, il marcha au hasard dans la ville. Il attendit le vendredi dans une certaine fébrilité qu'il ne pouvait tout à fait cacher, et qui augmenta les inquiétudes de David. Il allait le perdre, Bernard, il le sentait, tenta de le rattraper mais l'autre se déroba, habile. David sentait qu'il était en train d'échouer. Pour Bernard, c'était soit trop tard, soit trop tôt, il l'avait perçu dès le début David, quand il l'avait récupéré devant la poste à sa sortie, et même avant, au parloir. Il était impuissant dans cette configuration-là, ça le rendait irritable, comme à chaque fois que la vie dépassait ses pauvres forces d'homme qui avait parié, un jour, sur sa capacité à tirer "le meilleur du pire" en s'occupant de ces gars-là.

Le vendredi soir, Bernard passa chez Fernando chercher le flingue. Dans le bureau du garage désert Fernando le vit venir en silence, assis à son poste de travail encombré de factures graisseuses, de bons de commande tachés, de tout un bric-à-brac de stylos, cendrier, objets divers. A l'entrée de Bernard il allongea le bras et sortit d'un tiroir une arme noire et froide, lourde, puis les munitions prévues avec. Bernard posa l'argent sur le bureau devant l'autre et attendit que Fernando ait fini de compter l'argent. Le compte y était, d'un signe de tête Fernando lui fit signe de prendre l'arme, ça allait. Bernard referma les doigts sur le flingue et frissonna, empocha arme et munitions. Fernando s'était levé et marchait vers la porte, il avait glissé l'argent dans sa poche de poitrine, il éteignit la lumière, attendit que Bernard soit sorti, ferma le bureau à clef ; ils sortirent ensembles du garage par une petite porte latérale que Fernando ferma à clef aussi, ils se saluèrent d'un signe de tête, se séparèrent. Ça n'avait pas duré vingt minutes. Ils n'avaient pas prononcé une parole.

Bernard repartit dans la nuit, seul, lourd de l'avenir qu'il venait de se choisir. Il arriva un peu en retard au Foyer, Dédé venait de servir la soupe et tous étaient rentrés, attablés déjà. Debout dans l'ombre, dehors, Bernard arrêté juste à la limite des lumières écoutait les bruits, les rires, le brouhaha confus des gars dans la salle, et c'était chaud, cette vie qui se déroulait là, si près de lui tandis qu'il restait seul, dans l'ombre et le froid, regardant par la fenêtre sans que personne ne le sache. C'était la dernière fois, il le savait, aussi s'attarda-t-il à graver dans sa mémoire les visages, les paroles, cette scène dont il était témoin. Le Foyer. Pour tous ces gars, c'en était vraiment devenu un, le seul qui leur restait. C'était bon de le savoir là, ce Foyer, au fond de l'impasse, disponible, accueillant, ancrage sûr dans les plus grosses tempêtes. S'arrachant à sa contemplation, il entra, rejoignit tout le monde, se trouva une place, et silencieux comme toujours, mais pour une fois présent à ce qui se vivait autour de la table, il prit son repas en compagnie de tous. Au moment de partir, il salua David, posa brièvement sa main sur son épaule, le remercia du mal qu'il se donnait pour chacun :
-"Ça doit pas être toujours facile hein ?
- Bah.... ouais, mais j'l'ai choisie cette vie-là Bernard, et puis j'y ai des joies aussi, faut tout voir...!"

Il ne savait pas trop quoi répondre David, ça le touchait que Bernard lui ait parlé comme ça ; comment expliquer ce choix d'être au milieu d'eux, cet engagement, cette idée qui l'avait frappé un jour que tout homme pouvait exprimer une valeur, même ceux-là, pour peu qu'on les soutienne et qu'on les aide à tourner les pages moches de leur vie ? Mais à ces hommes-là il fallait tout donner, s'immerger totalement, sans restriction, parce que la demi-mesure ne portait aucuns fruits. Comment expliquer le don de soi ? Bernard sourit à David, ça lui arrivait rarement à Bernard de sourire, et David fut surpris. Plus tard quand il se remémora cette soirée et ce départ, il se traita de con David, mais à ce moment-là il se contenta de saluer Bernard avec un sourire, et de le regarder tourner l'angle de l'impasse vers son hôtel, plus perplexe que jamais.
(à suivre)

6 commentaires:

  1. Bon ça tourne vraiment vinaigre pour Bernard...il n'a pas rencontré de fil à dérouler dommage...à moins que ?

    RépondreSupprimer
  2. à suivre...
    encore que, si, d'une certaine façon, il en a trouvé un, de fil...

    RépondreSupprimer
  3. alala j'ai bien peur d'avoir deviné le projet de Bernard, j'espère me tromper, ce serait trop triste et puis pour David qui me semble bien impliqué dans sa profession et ce serait pour lui une souffrance s'il échoue vis à vis de Bernard
    Mais attendons la suite ..pas de déduction rapide

    RépondreSupprimer
  4. ma pauvre Lyse, je vous fais mariner hein...

    RépondreSupprimer

allez, dites-moi tout !