dimanche 31 mai 2009

Monsieur Hector (9)



Monsieur Hector - 9

Il s'approcha de cette porte maudite, et d'un seul coup fut soulagé de son angoisse. Une grosse clef noire habitait la serrure, clef qu'on laissait sur place par commodité, sans doute. Ah ! Qu'il s'en empara ! Il fit jouer la serrure, qui voulut bien ne pas trop couiner, et put ouvrir la porte. Il fut aussi heureux de retrouver le chemin qu'un naufragé un baril vide.

Il sortit et allait tirer la porte, lorsqu'une idée lui vint. Prestement, il retira la grosse clef noire, et la fourra dans sa poche ; il y avait un serrurier dans sn quartier. Il ne pouvait garder cette clef, ce n'était pas la sienne, mais il allait la faire refaire ! Puis il restituerait celle d'origine, et le tour serait joué. Allait-on s'en prendre à l'aide-jardinier de sa disparition ? Ce serait dommage qu'il perdît sa place, mais peut-être se contenterait-on de le gronder ? Peut-être n'allait-on même pas s'en apercevoir, on l'ouvrait si rarement, cette porte...

Jean-Michel n'avait pas la conscience bien tranquille, mais enfin c'était fait, et il devait rentrer ; il courut.

Le jeudi suivant, il avait deux clefs dans sa poche, et beaucoup moins de sous. En passant devant l'entrée des fournisseurs, le jardinier le héla :
- "Petit ! J'ai une bonne nouvelle pour toi ! Le patron est parti hier ! On va bien avoir la paix pour quinze jour ! Si le coeur t'en dis d'venir m'aider..." Jean-Michel n'allait pas rater l'aubaine ! Il passa tout l'après-midi dans les jardins. On lui en montra toutes les merveilles, il aida un peu au travail, oh ! du boulot d'apprenti : tirer une mauvaise herbe ici, là porter un outil, de petites choses, mais il était fier. Surtout, il put rendre la clef : il la jeta dans l'herbe près de la porte de derrière, lorsqu'ils vinrent aux vergers. Le jardinier maugréait : "Imagines-toi ! Il nous a perdu la clef la semaine dernière ! Tu parles d'un dégourdi ! Heureusement que Monsieur Hector a un double ! Mais va quand même falloir la r'faire !"

Jean-Michel se serait giflé ; il aurait pu penser qu'il y avait forcément un double, il aurait eu alors une clef, et encore ses sous. Il regardait par terre autour de l'endroit où il avait jeté la grosse clef noire, et fit semblant :
- "M'sieur, ce serait pas elle ?"
- "Montre ? Mais oui ! L'animal l'aura accrochée avec son paletot sans s'en rendre compte ! Bon, ça fait un souci de moins !". Il empocha la clef, et on n'en parla plus. Jean-Michel était bien soulagé.

Il vint au domaine chaque jour de congé, durant l'absence de Monsieur Hector. Il connaissait désormais bien les lieux, avait repéré toutes les bonnes cachettes, et ne se lassait pas d'en découvrir toutes les merveilles. Il exultait.

Un jour qu'il grappillait des framboises, une pensée lui vint à l'esprit. Ses grands-parents et Monsieur Hector avaient négligé sa mère et l'avaient rejeté, soit, mais enfin, on hérite à la mort des siens. Monsieur Hector avait été l'héritier principal, mais après lui, le domaine revenait à sa mère, et enfin à lui, Jean-Michel ! Il regarda désormais l'endroit avec les yeux du propriétaire. Ici, il était chez lui ; il aurait dû déjà y être, il le serait un jour. La grosse clef noire qu'il avait fait refaire lui semblait un symbole de sa future possession. Jean-Michel résolut de ne plus chercher à se cacher de Monsieur Hector, quand celui-ci serait rentré.

Précisément, que devenait-il, Monsieur Hector, dans sa villégiature ? Pour tout dire, il était assez mécontent. Cette année-là, le temps sur la région était inclément, et cela le rendait maussade. Impossibles, les promenades dans les environs, à herboriser dans la campagne ! Et la bonne table où d'habitude il prenait ses repas avait changé de propriétaire. Le personnel ayant été modifié, il n'y retrouvait plus les plaisirs gastronomiques auxquels il avait pris goût.

Les jours passant, Monsieur Hector devint de plus en plus renfrogné. Ce n'était plus tenable. Ses jardins lui manquaient, et ses plantes, et son cuisinier, et tout le confort qu'on peut trouver chez soi, dont il se passait quand le climat était propice.

Il décida d'abréger son séjour, mobilisa son chauffeur et son domestique, et reprit le chemin de sa maison, sans crier gare. Son arrivée inopinée, dans le milieu de l'après-midi, jeta tout le monde dans les alarmes : c'était un jour où Jean-Michel se trouvait dans la place, occupé avec le jardinier à palisser les premières tomates sorties des châssis. Le personnel de la maison envoya vite prévenir aux jardins que le maître était de retour, et l'enfant fut raccompagné. Tout le monde s'était attaché au petit garçon, aimable et gai, qui riait volontiers. Si la place n'avait pas été avantageuse sur le plan matériel, bien des employés auraient depuis longtemps quitté les lieux, tant Monsieur Hector, capricieux, indifférent, exigeant et froid, leur était insupportable. Aussi prit-on soin d'éviter, et de causer un désagrément au petit, et de mettre en colère l'infantile Monsieur Hector, à qui bien des fois dans le passé le personnel aurait volontiers distribué des taloches.

Jean-Michel fit mine de partir, et revint en courant par les vergers. Il savait désormais des cachettes, et aussi où travaillait chacun ce jour-là. Il voulait le voir enfin, ce fameux Monsieur Hector ! Entrer subrepticement, courir se cacher à un endroit propice, tout en évitant soigneusement d'être vu, tout cela se fit en un quart d'heure. Bien à l'abri, en vue de l'allée principale qui desservait les jardins paysagers, il s'arma de patience, et attendit.

Monsieur Hector était grognon ; le long trajet sous la chaleur l'avait incommodé. On lui servit une collation, il alla se rafraîchir et se changer, non sans maugréer que rien n'était comme il eût fallu. Puis il se prépara à faire le tour de ses jardins chéris, et sortit.

Et Jean-Michel fit enfin connaissance avec son oncle. Il vit un petit homme grassouillet - gros, même, au visage poupin, au ventre proéminent, se dandiner dans l'allée, regardant chaque massif avec attention. La chaleur semblait l'incommoder, et il avait le souffle court d'un asthmatique. Ses petits yeux froids et méthodiques se portaient sur chaque plante, vérifiant l'état des feuillages ; se baissant péniblement, il écartait parfois les végétaux pour s'assurer du désherbage et contrôler la fraîcheur du sol. Jean-Michel le vit passer devant lui avec un serrement de coeur, mais il ne s'arrêta pas. Ainsi c'était là Monsieur Hector, son oncle, l'homme à qui on avait sacrifié sa mère. Jean-Michel sourit, moqueur : il n'avait pas l'air en très bon état, le tonton !

Il y avait de quoi bien s'amuser. L'enfant attendit encore un peu, puis rusa jusqu'à la poterne dans le mur, et rentra chez lui, pensif. Il fallait bien réfléchir, et foncer.

(à suivre)

1 commentaire:

  1. Ah, mais c'est bien sûr!
    Le cholestérol d'Hector et Jeanmi est héritier...
    Ca s'arrange on dirait???
    PP

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