lundi 25 mai 2009

C'est pas bien de faire ça



Le jardin de la Jeanne et les roses du Marcel

Faut que je vous dise : j'ai volé.

Mon jardin est mitoyen de ceux de mes voisins, et mes voisins sont (étaient) âgés.

Tout contre le mien se trouve le second-jardin-de-derrière de la Jeanne, puis venait le second-jardin-de-derrière du Marcel.

L'un et l'autre entretenaient des jardins magnifiques, des jardins prolifiques, des jardins à faire crever d'envie, depuis tant d'années, vous pensez bien !

Marcel était toute gentillesse, pas riche, et pas égoïste.

La Jeanne, c'était d'abord un sourire, et puis un rire facile, vous savez, cette politesse des humbles pour qui la vie n'a rien d'aisé...

Marcel avait, près de son portail, un petit rosier ancien, délicat, qui garnissait le grillage en mai d'une profusion de petites roses pâles et discrètes.

Dans le jardin de Jeanne elle avait mis sa vigne, des crus anciens qu'on ne connaît plus maintenant, et des iris immenses, et de grandes ancolies de toutes les couleurs. Une haie de lilas mauves, le long du chemin, déploie en avril toutes ses senteurs, jusque dans ma maison, dans les soirs de printemps... et bien sûr il y avait les légumes, et des tas d'autres fleurs.

Puis Jeanne a vieilli davantage, et sa raison s'en est allée ; elle n'est plus venue dans ses jardins où l'herbe croît sans retenue, plus haute que moi, et ses lilas ne fleurissent plus pour elle ; ses enfants sont loin et personne ne nettoie le jardin ensauvagé, d'où emmerge, ça et là, la tête des grands iris multicolores et quelques ancolies luttant contre les herbes. Jeanne ne reconnaît plus personne à présent, et ne sort plus guère. Ses grandes ancolies, poussées près du grillage qui nous sépare, ont grainé chez moi pour mon plus grand plaisir, des fleurs d'un rose magnifique, délicat comme une soierie d'antan, aériennes et graciles. Mais plus loin elles étaient violettes, bleues, mauves, un régal d'aquarelliste, un rêve de peintre.... Je n'ai pas songé, du temps où Jeanne était encore "là", à lui demander des graines - je ne faisais pas encore de jardin dans l'enclos alors, et les chèvres y broutaient de longs après-midi... Je pensais que j'avais le temps, que ça pourrait attendre, Jeanne n'avait que quatre-vingt ans et se tenait si vive et si droite ; et puis tout est allé très vite, et Jeanne n'est plus tout à fait Jeanne....

J'ai redouté son départ imminent vers un autre jardin, et j'ai craint que d'autres, rachetant son bien, ne rasent d'une faux définitive les trésors de son enclos ; je serais bien allée lui demander des graines, mais elle n'a plus sa raison et elle aurait eu peur, ne me reconnaissant pas : il n'y a pas assez longtemps que nous sommes dans sa vie... Demander à la voisine qui vient la voir n'aurait pas été plus sensé, peut-elle disposer d'un bien qui n'est pas le sien ? Quant aux enfants de Jeanne, je ne les connais pas, et puis où les trouver ?

Alors au printemps dernier, quand les graines furent mûres au bout des longues tiges, un soir, je me suis glissée subrepticement dans le jardin de Jeanne, son beau jardin abandonné dont le portail n'est pas fermé, et j'ai maraudé les cosses lourdes des grandes ancolies, pas fière mais je ne voulais pas qu'elles périssent... et je les ai semées, cette année, auprès des autre, le long du grillage. Puissent-elles croître et vivre et me garder longtemps le souvenir de la Jeanne, souriante sous son chapeau de paille, maigre et sèche et noire de tous les étés passés à soigner ses jardins...

C'est pas beau et ça ne se fait pas, mais voyez pourtant si je n'ai pas bien fait tout de même : la bouture que j'avais faite du rosier du Marcel, son beau rosier ancien, n'a pas voulu prendre, maladresse de débutante ; Marcel s'en est allé déjà, avant la Jeanne ; et quand j'ai voulu cette année voir fleurir le rosier, j'eus un serrement de coeur : "on" l'a arraché, et il a disparu, tout comme celui qui en avait pris soin - oh ! les imbéciles !

Voilà, j'ai volé, et ce n'est pas bien du tout. On n'entre pas dans un jardin comme ça, on ne prend rien sans permission, ce que j'ai fait n'est PAS BIEN DU TOUT ! et je n'en suis pas fière, mais que le jardinier qui n'en a jamais fait autant me jette la première pierre !

Et j'attends avec impatience désormais le moi de mai de l'an prochain, pour voir éclore les ancolies de Jeanne, dans toute leur beauté, dans mon jardin.

4 commentaires:

  1. Ce n'est pas du vol, c'est de la conservation du patrimoine et l'esprit de Jeanne, où qu'il soit allé, vous en sera reconnaissant.
    Votre jardin abrite un peu du jardin de Jeannne, désormais menacé.
    Quand au rosier de Marcel, si vous aviez une photo, même approchante, j'ai tellement de rosiers ici, que je pourrais vous faire une bouture et vous l'envoyer.
    Une voisine aujourd'hui partie jardiner les Verts Pâturages, me disait:"on fait son jardin avec celui des autres;"
    tout le monde ne pense pas ainsi.
    J'avais pour voisine une vieille fille totalement bigote, qui avait un géranium magnifique, d'un rose extraordinaire. elle le rentrait l'hiver et le ressortait le temps du gel passé.
    Un jour,en son absence, j'ai chapardé un morceau du géranium , j'en ai fait une bouture qui a bien pris. Il faut dire que j'avais cherché le même en jardinerie sans succès.
    Naturellement connaissant l'étroitesse d'esprit de la dame; j'avais mis mon larcin trop prospère hors de sa vue.
    Un automne, une gelée précoce a ruiné le beau géranium; moi, étant sur place, j'avais eu le temps de rentrer le mien.
    Donc j'ai fait une nouvelle bouture que fièrement, j'ai offert à la voisine au printemps suivant.
    Que croyez-vous qu'il arriva? elle s'est répandu dans tout le pays, disant que j'avais un culot infernal et que je rentrais dans les jardins quand les gens n'y étaient pas.
    depuis je continue à voler, mais je ne m'en vante plus.
    PP

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  2. fi ! la vilaine voisine, personnelle et jaboteuse ! c'est pourtant à vous qu'elle doit d'avoir pu retrouver son géranium ! Jeanne, si je lui avais dit "Jeanne, que vos ancolies sont donc belles, gardez moi quelques graines voulez-vous?", me les eût offert en souriant...c'est sans doute pour cela que j'ai osé...ça s'échange, les plantes, ça se propage, c'est le don de la vie, il faut que ça essaime, il faut que ça se transmette... j'en ai donné souvent, j'en ai reçu aussi...je mets un peu de mes amis, comme ça, dans mon jardin...Alors, il me sourit, et j'y suis bien.

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  3. au contraire, la propriété privée ne devant pas exister,
    la nature devant être à tout le monde,
    par ton amour des plantes et ta témérité tu as contribué
    à la préservation de la biodiversité, par conséquent
    tu devrais recevoir une médaille (en fleurs tressées) ou un ministère
    des affaires plantifères!

    Bises feuillues

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  4. Elle ne le devrait pas, mais je suis tout de même bien contente qu'elle existe, en tant que Sauvage, pour être sûre de ne croiser aucun indésirable sur mon chemin ! paradoxe entre les faits et les idées....par contre, on devrait la limiter, et mieux la répartir ! tu trouves ça normal, toi, tous ces gens qui n'ont pas même un jardin ?

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allez, dites-moi tout !