Robert Doisneau |
Elle danse
dans le soleil sur le chemin, un petit panier à son bras. Dedans, une pomme, du
pain, du fromage, dansent à son rythme. Elle va à l'école, pour apprendre. Elle
aime ça, apprendre, et plus tard elle aussi, elle sera maîtresse d'école.
Alors, on lui dira « Madame », et on l'estimera, parce qu'elle sera
instruite.
Elle rêve,
sur le chemin de calcaire blanc éblouissant et sec du soleil déjà fort d'avril.
Elle a huit ans, dix ans, douze ans, et elle rêve. Sa vie, elle la dessine
au-dedans d'elle, et ça lui donne des ailes. Comme elle sera intéressante, sa
vie de maîtresse d'école, comme elle aura de la chance ! Elle ira danser à la
Mairie le soir de la distribution des prix, elle aura de jolies toilettes, elle
ira au chef-lieu tous les ans pour présenter ses « grands » au
Certificat !
Elle rêve,
et sa vie se déroule comme un ruban chez la mercière, une vie de satin
ondoyante. Bien sûr, « on » la demandera, et elle se mariera, dans
une belle robe blanche. Elle aura des enfants, des enfants jolis et polis, pas
des galopins railleurs comme ceux des fermes du hameau, non, des enfants
« de ville », c'est ça qu'elle aura. Et elle danse son rêve, sur son
chemin d'écolière. Elle a l'âge des grandes espérances.
Seulement, il y a la vie. La vie, c'est pas comme dans les rêves. La vie vous envoie traire les vaches quand on voudrait lire encore un chapitre, la vie vous fait frotter le carreau, rincer les torchons....La vie, qu'est-ce que c'est agaçant !!
Seulement, il y a la vie. La vie, c'est pas comme dans les rêves. La vie vous envoie traire les vaches quand on voudrait lire encore un chapitre, la vie vous fait frotter le carreau, rincer les torchons....La vie, qu'est-ce que c'est agaçant !!
Elle a
quatorze ans, et c'est la guerre. C'est aussi l'âge du Cours Supérieur, celui
qui prépare au Brevet, et après le Brevet, on peut entrer à l'Ecole Normale.
Elle rêve encore...Mais quatorze ans, c'est aussi la fin de l'obligation
scolaire. Il va falloir qu'elle « gagne », a dit le père. C'est la
guerre, et ses sœurs ont des petits qu'il va falloir nourrir....Ses sœurs
aussi, au même âge, ont dû « gagner », alors, il va falloir fermer
ses livres. Elle a le cœur bien gros...mais il n'y a rien à dire, quand le père
a parlé. Même la Maîtresse, même le Maire, n'ont pas pu le convaincre !
Elle
regarde son rêve qui s'éloigne sans elle sur le chemin de soleil où elle
dansait naguère. On ne l'appellera pas « Madame ». Elle ne sera qu'un
prénom : « Marie, avez-vous fait les vitres ? », « Marie,
as-tu « donné » aux poules ? ». Son avenir lui fait peur, il n'y
a pas d'issue. Elle frottera, ce sera son destin. Son rêve s'étiole aux jours
de grande lessive, son rêve se meurt au quotidien. Elle ne danse plus que du
balai et du torchon.
Les années
passent, et son rêve n'est plus que le soupir qu'elle pousse quand elle repense
à son enfance. Ses enfants se moquent d'elles, eux qui ont pu apprendre. Elle
est restée godiche, comme la gamine qui rêvait tellement à sa gloire qu'elle
n'a pas pensé à se garder de la vie qui la guettait au passage....la sale vie,
si différente de celle qu'elle aurait dû avoir, de sa « vraie »
vie....
Elle rêve
dans les romans de trois sous, elle rêve la vie des autres : elle ne peut plus
rêver la sienne. Pourtant, quelque part au fond d'elle est encore une enfant
qui dansa jadis, sur un chemin blanc de craie écrasé de soleil, la joie de
croire que la vie était pleine de promesses, une Aventure à vivre.
Qu'elle est
lointaine, cette enfant ! Il semble qu'elle vienne d'un ancien Monde, d'un
Temps si passé, qu'il n'est que de la légende....Et elle sourit parfois, pour
elle seule, avec tendresse, à cette petite fille naïve qui espérait, et qui
avait la Foi. Ah, si on lui avait permis.....
Mais on ne
lui a pas permis, et elle non plus, elle ne s'est pas permis. On n'affronte pas
la parole du Père. Alors, comme on ne sait plus rêver, on devient Femme de
Devoir, plus ou moins résignée, et on jalouse celles qui se donnent licence de
suivre leur chemin : dévergondées ! Mais, en secret, parfois, elle se dit qu'elle
a été bien bête, bien peureuse, qu'elle aurait dû....faire quelque chose,
tandis qu'il était temps ! Après tout, elle aurait pu la réussir, sa vie !
Seulement,
jamais elle n'a osé, puis un jour il était trop tard. Et sous la défroque de la
Femme de Devoir, danse, toute petite et oubliée, une écolière en tablier à
carreaux qui a eu, un jour, des rêves.
Qu'elle
danse, cette petite fille-là, qu'elle danse encore longtemps dans le soleil du
printemps !! Elle ne sait pas qu'elle est la seule consolation, et sans doute
la seule vérité, d'une très vieille dame rabotée par la vie, et qui n'a jamais
su trouver la serrure de sa cage.
Anne, 7 mars 2013.
Elle a permis à sa fille d'ouvrir la sienne... peut-être...
RépondreSupprimerPeut-être....qui sait....
SupprimerOuep! Le "Saigneur" dans son infinie bonté dosait avec soin l'abnégation, vitale aux moins nantis, souvent, des femmes, quel curieux hasard!
RépondreSupprimerOuep, quel curieux hasard, en effet......
Supprimer"Le Ruban Blanc" de Michael Haneke.
RépondreSupprimerBeau film auquel ton billet me renvoit.
Je ne l'ai pas vu, je le note ; j'irais voir ce qu'on en dit !
SupprimerQue c'est beau, Anne que c'est beau!!!
RépondreSupprimerQuelle écriture... merci
C'est le "marronnier" du jour !
SupprimerQuel beau texte Anne !
RépondreSupprimerJe manque de mots pour te dire ce qu'il a fait remonter en moi...
Merci, Framb' ! Celui-là, je ne pouvais pas ne pas l'écrire...combien il y en a eu, de ces destinées-là !
SupprimerMétamorphose en soi-même. Au-delà de soi, l'autre soi qui attend... Silencieusement elle murmure jusqu'au cri qui lui manquait et que vous lui offrez aujourd'hui. Accomplissement. loyauté.
RépondreSupprimerBouleversant...
Merci, Christiane !
SupprimerTexte poignant et très bien écrit! C'est vraiment malheureux de rappeler que des millions de jeunes filles ont eu leurs rêves brisés à jamais, à cause de l'immonde bêtise!
RépondreSupprimerBonne fête Anne, malgré tout! Il faut continuer la lutte!
Merci, Mokhtar ! Oui, il faut continuer, le monde a besoin de petites filles dansant sous le soleil l'Espoir de leur avenir.
SupprimerPresque l'histoire de ma petite maman. Ah si je te la racontais, tes yeux se remplirait de larmes. Et pourtant, à 87 ans, elle pourrait, maintenant, te mettre plein d'étoiles dans les yeux et un sourire sur tes lèvres...
RépondreSupprimerNos mères ont quasi le même âge, Lou, et ont sans doute eu des vies assez proches....Tellement de femmes ont été condamnées à de tout autre destin que celui de leurs rêves ! Par contre, toutes ne savent pas forcément "tirer le meilleur du pire".... Heureuses celles qui l'ont pu ! :)
SupprimerTes petits bijoux littéraires méritent d'être réunis dans un recueil de nouvelles. Je sais que ça viendra. Les ocreries n'ont qu'à bien se tenir!
RépondreSupprimer*rouge* : oh, merci Gaétan !
SupprimerMAGNIFIQUE hommage à la liberté
Supprimersait on jamais qui elle est?
cette autre nous même hors les sentiers battus, cette fôllasse des feuilles pleins les cheveux, des chants plein les oreillers
de l'ardeur contre vents et mariées
Laure Adler dit que "les femmes qui lisent sont dangereuses" et que celles qui "écrivent vivent dangereusement"....ne serait ce qu'elles sont libres?
qu'en penses tu ma sorrina?
OUI !! Ô combien !!!! Bises ma Dom !
SupprimerAh, c'est malin, tu me fais chialer.
RépondreSupprimerça me donne une bonne occasion de te faire un gros bisou consolateur...... :))))
Supprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=KLQwfR5teyg
RépondreSupprimerj'ai toujours pas lu ton texte, mais je t'envoies quand même ce message :
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=BAzm0eEANMQ
essentiel! do not be so glOOmy bébi!
Oh la terrible et surprenante odeur de viande qui meurt
RépondreSupprimerc’est l’été et pourtant les feuilles des arbres du jardin
tombent et crèvent comme si c’était l’automne…
cette odeur vient du pavillon
où demeure monsieur Edmond
chef de famille
chef de bureau
c’est le jour de la lessive
et c’est l’odeur de la famille
et le chef de famille
chef de bureau
dans son pavillon de chef-lieu de canton
va et vient autour du baquet familial
et répète sa formule favorite
Il faut laver son linge sale en famille
et toute la famille glousse d’horreur
de honte
frémit et brosse et frotte et brosse
le chat voudrait bien s’en aller
tout cela lui lève le cœur
le cœur du petit chat de la maison
mais la porte est cadenassée
alors le pauvre petit chat dégueule
le pauvre petit morceau de cœur
que la veille il avait mangé
de vieux portefeuilles flottent dans l’eau du baquet
et puis des scapulaires… des suspensoirs…
des bonnets de nuit… des bonnets de police…
des polices d’assurance… des livres de comptes…
des lettres d’amour où il est question d’argent
des lettres anonymes où il est question d’amour
une rosette de la légion d’honneur
de vieux morceaux de coton à oreille
des rubans
une soutane
un caleçon de vaudeville
une robe de mariée
une feuille de vigne
une blouse d’infirmière
un corset d’officier de hussards
des langes
une culotte de plâtre
une culotte de peau…
soudain de longs sanglots
et le petit chat met ses pattes sur ses oreilles
pour ne pas entendre ce bruit
parce qu’il aime la fille
et que c’est elle qui crie
c’est à elle qu’on en voulait
c’est la jeune fille de la maison
elle est nue… elle crie… elle pleure…
et d’un coup de brosse à chiendent sur la tête
le père la rappelle à la raison
elle a une tache
la jeune fille de la maison
et toute la famille la plonge
et la replonge
elle saigne
elle hurle
mais elle ne veut pas dire le nom…
et le père hurle aussi
Que tout ceci ne sorte pas d’ici
Que tout ceci reste entre nous
dit la mère
et les fils les cousins les moustiques
crient aussi
et le perroquet sur son perchoir
répète aussi
Que tout ceci ne sorte pas d’ici
honneur de la famille
honneur du père
honneur du fils
honneur du perroquet Saint-Esprit
elle est enceinte la jeune fille de la maison
il ne faut pas que le nouveau-né
sorte d’ici
on ne connaît pas le nom du père
au nom du père et du fils
au nom du perroquet déjà nommé Saint-Esprit
Que tout ceci ne sorte pas d’ici…
avec sur le visage une expression surnaturelle
la vieille grand-mère assise sur le rebord du baquet
tresse une couronne d’immortelles artificielles
pour l’enfant naturel…
et la fille est piétinée
la famille pieds nus
piétine piétine et piétine
c’est la vendange de la famille
la vendange de l’honneur
la jeune fille de la maison crève
dans le fond…
à la surface
des globules de savon éclatent
des globules blancs
globules blêmes
couleur d’enfant de Marie…
et sur un morceau de savon
un morpion se sauve avec ses petits
l’horloge sonne une heure et demie
et le chef de famille et de bureau
met son couvre-chef sur son chef
et s’en va
traverse la place de chef-lieu de canton
et rend le salut à son sous-chef
qui le salue…
les pieds du chef de famille sont rouges
mais les chaussures sont bien cirées
Il vaut mieux faire envie que pitié. (j prévert)
+ en fait, vaut mieux faire pitié qu'envie, parfois, et ça dépend des circonstances, aussi, mébon, on est pas la pour tout calculer non plus. comme quoi, les assertions péremptoires............. c'est plus comme avant... quoique pire ? héhé!
Merci pour ce com' !
Supprimerpoaime :
RépondreSupprimerje me souviens pas trop tous les détails
c'était à un diné
qu'ils effaceraient plus tard dans les mémoires
grace au pouvoir
ils allaient tuer quelqu'un
moi, je m'en foutais
je voulais être ailleurs
parce que leurs gueules puaient l'absolution et le travail en tant que valeur de réalisation de soi pour le grand gourou caché
j'avais envie de disparaitre
de tuer l'autre brêle béhante
de m'enfuir dans des draps propres...
comme un petit sale qui fuit, mais EUX!!!
ils voulaient que j'adhère!!!
et c'est la raison pour laquelle j'ai fini arracher la petite cloche de la mère dupuy, l'autre nuit, sur la grève :
http://www.youtube.com/watch?v=E0PF1zcyNqg
Pour elle, comme pour moi, c'est doux de se blottir dans l'écrin de tes mots.
RépondreSupprimerMerci Anne.
Bises.
De rien, Lulu ! tout le plaisir est pour moi. :)
SupprimerSuperbe. Ne cache pas ton plaisir d'écrire, il est si présent dans la lecture.
RépondreSupprimerMerci à toi.
Bien amicalement.
Roger
Merci Roger, bon dimanche !
Supprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=g-oLmOm9vk0
RépondreSupprimer;)
tous mes mots sont comme une impossibilité débile
RépondreSupprimerje ne souffre pas
l'agir est un serpent
le courage est une femme en rut qui veut du sang
les étoiles sont peut-être déjà mortes
je ments
la sincérité est un piège dans lequel on se cherche sans se trouver sinon dans le socle alors consacré en tant que sacré par le CHOIX
les meuble se délavent
parfois, je peux encore aimer, mais si je le dis ici, ils se débrouilleront bien pour enculer mon amour un de ces jours
alors je me dis : "rien à foutre, aimer, c'est aussi prendre des risques, quitte à tuer l'objet de ton coeur par ta seule ambition..."
le piège est dieu, vous, les chambres propres
le linge entreposé par des êtres humains dans les petites pièces faites exprès dans les hotels dont les miurs filment vos ébas 24 heures sur 23 heures 56,
à l'hp ou à l'hopital général
pi y'a les douches
le savon en bouteille plastique
les infirmières espagnoles qui me prennent pour un fasciste parce que je m'habille en noir
comme ben
et moi
je suis juste un clébard
mais je peux te pisser dessus en tirant la langue
et aller chercher ton courrier quand le factueur passe
en remuant la queue
mais tu m'auras pas :
http://www.youtube.com/watch?v=noyITU1IEuI
(voulais te foutre le "i got nothing i got shit", la version du metallic 2XKO de 73 ou 14, mais ça passait pas... mais en même temps, cette version de "open up and bleed" valait bien la pein d'exister, selon la mesure , me semble, alors je n'ai pas d'ironie, mais au moins, je t'aime!
J'avais le même rêve mais il s'est réalisé et je mesure ma chance a l'aune de l'émotion que ton texte m'a provoqué.
RépondreSupprimerMerci pour cette belle rencontre. Je reviendrai.
Bienvenue Célestine, et merci beaucoup !
Supprimerquand je pisse sur un escargot
RépondreSupprimermoi et mon orgueil de verge
malgré le givre de l'hiver...
je ne pleure plus
quand les herbes ont disparu
parce que c'est la nuit
et que je tamponent de mes godasses sur le sol qui absorbe le petit leg de cerveau qu'ils m'ont laissé de sa démarche en mon rebond si étroit (dans ce qui reste de ma tête)
je marche encore
avec cette écharpe autour du cou
je suis mort
le froid
la nuit
je marche dans le froid sans avoir froid, mes os guident mes pas
ma charpente morte qui me tient debout
je suis seul
seul
seul comme un...
sac plastique dont la membrane est arrachée par les épines d'un buisson ardent
la nuit
et j'ai envie de me coucher
mais il faut lutter
contre le vent et le froid
grace au crédit banquaire
vers une chocolatine.... demain matin
et la solitude
Tsé, t'es vraiment un poète.
Supprimerça, ça méritait bien ton nom, le vrai.
vais me réfugier dans un croissant de meurtre
RépondreSupprimeren compagnie de mes potes clodos agonisants...
(sincère)
entre nous, anne :
RépondreSupprimer"font chier"
bise
je crois que je vais devenir clochard, car ils me font tous chier. tous
RépondreSupprimerau fond, lhp, c'est pépère...
les ostis de profs donnent des leçons
mais à la cantine
y'a toujours de quoi baffrer
bref
Ben on attend la suite !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
RépondreSupprimer9a va viendre ! ;-)
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