jeudi 29 novembre 2012

Et si on sortait ? - part. 2


Nous étions restés, il y a déjà deux semaines, sur notre arrivée fracassante dans le bourg de Lury sur Arnon, dans le Cher, où nous nous rendions pour assister à un conte "musicalisé" par les bons soins des frères Bitaud, Laurent et Dominique, musiciens et conteurs à l'occasion. (cf billet précédent).

Reprenons, donc : nous sommes le 16 novembre, il fait nuit et il fait brouillard et froid, sur la région ; dedans l'assemblée fait silence, et les premiers sons de la vielle et de la cornemuse s'élèvent...c'est l'heure du conte !

JEAN-LE-CHANCEUX

Il était une fois (j'adore ce début ! ), ça fait, ma foi, un peu de temps pour nous désormais, un vieux bonhomme et une vieille bonne femme qui vivaient dans une forêt très retirée, car le vieux était sabotier de son état. Des douze enfants qu'ils avaient eu, il ne leur restait plus que le dernier, Jean, qui s'en allait sur ses seize ans. Ce pourquoi son père l'avait surnommé " Jean-le-Chanceux", vu que lui seul avait survécu.


Le gamin s'ennuyait fort à fabriquer des sabots. Dame, à cet âge, on a un peu la bougeotte ! Et puis, ils ne voyaient jamais personne, dans cette forêt....Le Jean, à presque seize ans, avait envie de voir un peu le monde ! Mais las ! Son père ne voulait rien entendre, et rien savoir ! Le gamin était vivement rabroué, à chaque fois qu'il en parlait.

Pourtant, un jour, il n'y tint plus : 
- " Père, dit-il, c'est décidé, je m'en vais chercher fortune ! " Son père s'emporta une fois de plus : 
- " Je ne veux pas entendre parler de ça une fois encore ! Va-t-en au diable ! " 

Jean, cette fois-ci, ne se laissa pas démonter. Il fit ses paquets, embrassa sa vieille mère qui pleurait tant et plus, et tendit la main à son père ; mais celui-ci, toujours fâché, lui tourna le dos : "  va-t-en au diable " ! lui re-cria-t-il ! 

Jean partit donc ; il marcha bien sept heures, sans voir encore la fin de la forêt. "  Que la ville est bien loin ! ", pensait-il, et en marchant, il pensait à son futur emploi. Il était un peu dégourdi, ayant été à l'école, et ne doutait pas de se trouver favorisé par la fortune ! "  Après tout " , se disait-il, "  ne suis-je pas ' Jean le Chanceux ?' "

Comme il remuait toutes ces pensée en son for intérieur, il vit venir vers lui, sur le chemin, un petit homme en noir. Jean s'écarta pour lui laisser passage, le saluant dans le même temps. Comme l'homme s'éloignait, Jean soudain l'interpella :


- "  Monsieur ! Hep, Monsieur ! Dites-moi....la forêt finit-elle bientôt ? "
Le petit homme en noir se retourna :
- "   Oh, oui oui, vous n'êtes plus très éloigné de la grand-route qui mène à la ville....Mais dites-moi, qu'alliez-vous donc y faire ? "

- "  Je vais chercher fortune " , répondit Jean.
Le petit homme en noir, du coup, s’intéressa, toisant le Jean de haut en bas, pour bien en prendre la mesure, et se frottant le menton d'un air pensif.
- " Ma foi....j'aurais bien besoin d'une personne chez moi....ça ferait-il ton affaire, de rentrer dans mon personnel ? Mmmm ? "
- "   Ah mais oui Monsieur, pourquoi pas ! " répliqua Jean, content de faire affaire si vite.
- " Bon, reprit le petit homme en noir, et combien, d'après toi, devrais-je te payer ? "
- "   Oh, bin, allez, tenez....cinquante pistole l'an ? " répondit Jean, en se grattant la tête.
- "   ça me va ! "  répondit le petit homme en noir. " Mais, avant de conclure le marché, dis-moi....sais-tu lire ? "
 - "   Bien sûr Monsieur ! "  répondit Jean, tout faraud ! Dame il en était fier, car tout le monde autrefois ne savait pas lire dans nos campagnes ! "  Je sais même écrire, aussi ! "
- "   Hop hop hop arrête-toi là mon garçon ! ", répondit le petit homme en noir, "  Tu ne me conviens plus du tout, et là, vraiment, c'est impossible de faire affaire ensemble. Bonne chance à toi, et bonne route ! "
L'homme se détourna et reprit son chemin. Mais une idée vint à l'esprit de notre Jean-le Chanceux :
- "   Monsieur, Monsieur ! " s'écria-t-il, interpellant derechef le petit homme en noir, "  avec moi, il n'y a pas d'affaire à faire, mais avec mon frère qui s'en vient derrière moi pour la même cause, ce sera sans doute possible, il a toujours fait sa mauvaise tête et n'a point voulu apprendre aux écoles ! "
- "   Ah, bien... ", répondit le petit homme en noir, " nous verrons cela.... "

Jean avança jusqu'à être hors de vue, puis quitta vite le sentier, et hop hop hop, passant par le sous-bois il rebroussa chemin, jusqu'à se retrouver une nouvelle fois devant le petit homme en noir ; en marchant, il avait vite retourné sa veste côté doublure ( dame, c'est économique, quand on n'a qu'un seul habit : ça fait un côté pour la semaine et l'autre pour le dimanche !), et s'avança sur le chemin, vêtu de rouge et non plus de vert. Comme précédemment, il s'effaça pour laisser passer le petit homme en noir, le saluant au passage.

Mais cette fois-ci, le petit homme en noir l'interpella le premier :
- "   Dis donc, ce serait pas toi des fois, le frère du jeune homme que j'ai croisé il y a peu ? Vous vous ressemblez beaucoup ! "
- " Ma foi Monsieur, c'est bien possible " , répondit Jean," nous sommes jumeaux, voyez ! "
- " Bon ", reprit le petit homme en noir, " je suis à la recherche de personnel. Voudrais-tu travailler pour moi ? Et dis-moi...quels gages te donnerai-je ? ""
- " Travailler pour vous ? ", répondit Jean, " ma foi, pourquoi pas ? Heuuuu....pour cinquante pistoles l'an, ça irait-y ? "
- " Oui oui ! Ça me convient ! " rétorqua le petit homme en noir ; " mais avant....dis moi, sais-tu lire ? "
Notre Jean prit un air penaud, en regardant le bout de ses sabots.
- " C'est-à-dire que.....hélas non, Monsieur ! J'aimais mieux aller flâner qu'aller à l'école....ça fait que je n'ai rien appris, hélas ! "
- " Bien bien bien bien bien ! " , répondit le petit homme en noir, en se frottant les mains de satisfaction. " Tu fais mon affaire, je t'engage ! Tu auras tes cinquante pistoles, peut-être même le double SI je suis content de toi, et un jour de congé par an ! Viens-t-en avec moi. "
Aussitôt dit, le petit homme en noir se détourna et, quittant le chemin, s'enfonça dans les grands bois, suivi de Jean bien content. Ils marchèrent ainsi jusqu'au crépuscule, jusqu'à arriver devant un grand manoir perdu au milieu des bois, installé au milieu de hauts murs d'enceinte, sur un amas de rocs naturels qui le relevait plus haut que les arbres. La brume qui montait, la nuit qui tombait et le hululement des chouettes dans les grands arbres n'en faisaient guère un endroit engageant, et tout avait là un air bien sinistre aux yeux du pauvre Jean, fatigué, affamé et bien dépité de ne point aller en ville.....
- " Bin...c'est pas guère engageant, comme coin.... " se dit-il au tréfonds de lui-même, comme ils en passaient l'unique porte épaisse et renforcée de fer.

Bientôt, Jean, installé à l'office devant une table bien garnie, contentait sa faim en écoutant son nouveau maître lui expliquer en quoi allait consister son ouvrage :
- " Tu n'auras qu'à t'occuper de mon cheval, faire un peu de ménage ici et là, et t'assurer que personne n'entre chez moi durant mes absences ; les soins de ma personne, j'y pourvois."
- " Bon " , se dit Jean, " je vais bien gagner pour pas grand ouvrage, je suis bien tombé ! "
Il s'alla coucher, dans la vaste bibliothèque de son maître où une alcôve lui était dévolue.

Le lendemain, à son réveil, Jean trouva le logis vide, et son maître absent ; après avoir nourri sa faim aux cuisines, fort bien garnies en provisions ( et ça mange, un gamin de cet âge-là !), il alla explorer son nouveau domaine. De la cave au grenier, il ne trouva que portes fermées à clef, et personne nulle part, sauf un vieux cheval efflanqué, dans une des stalles de l'écurie. Il s'occupa du cheval, et n'eut rien d'autre à faire....que de revisiter tout le manoir, qui ouvrait sur une cour close de hauts murs, et d'où il ne pouvait sortir, la porte étant fermée à double tour aussi. 

Les jours passèrent. Jean récura tout ce qu'il pouvait, s'occupa du cheval, et s'ennuya fort. Il faisait grise mine, de se voir emprisonné là-dedans, lui qui avait tant rêvé de voir le monde !

Parfois, son maître revenait, inspectait tout de la cave au grenier, allait flatter son vieux cheval maigre, et se montrait fort satisfait. A ces occasions, il ne manquait jamais de donner à Jean, " en plus des gages promis ", une belle pistole d'or, qui allait grossir la poche de notre jeune homme, à sa grande satisfaction.


Mais le temps passait, et Jean s'ennuyait ferme. Vint le jour où, pour se distraire, il jeta un œil aux livres de la bibliothèque, qu'il était chargé d'épousseter, et qui garnissaient quasiment les quatre murs, du sol au plafond. Il en prit un....il ne put le lire ! A son grand désappointement, il était écrit dans une langue qu'il ne connaissait pas ! Il farfouilla, étagère après étagère, il trouva toutes sortes de volumes, des minces, des épais, des petits, des grands, mais aucun qu'il ne pût lire. Il était fort déçu.


Mais, en arrivant tout en haut du plus haut rayonnage, à la toute dernière extrémité de la dernière rangée, juste sous le plafond, Jean trouva un tout petit petit livre, noir, plat, mince, presque un carnet, en fait....il l'ouvrit, et, miracle ! Celui-ci, il le comprenait ! Il se mit à le feuilleter : table des matières...table des matières....voyons : ah !
" Formule pour ouvrir toutes les portes fermées " 
- " Oh oh !", se dit-il, "voilà qui serait bien utile !"
" Formule pour se transformer en animal "
- " Ah, bah ?" se dit-il, "pourquoi pas ?"
" Formule pour changer le plomb en or "
- " Ah, ça, ma foi, c'est pas mal !", se dit-il.
" Formule pour voir au loin tout ce qui s'y passe "
- " Oh, cela pourrait bien me servir !", pensa-t-il ; car il était soudain saisi de la nostalgie de sa famille et de sa maison, qu'il n'avait plus revues depuis des mois, et qui se mirent à lui manquer très fort....
Jean s'empara du petit livre, et lut attentivement la formule à prononcer pour voir au loin. Il l'apprit par cœur, et la répéta, répéta, jusqu'à obtenir le résultat voulu ; et, soudain, il vit devant ses yeux l'intérieur de son ancien logis....sa vieille mère tricotant dans un coin, les larmes coulant sur ses joues, et son vieux père, sombre et silencieux, fixant en silence le feu dans la cheminée.... " ah, je me demande bien ce que devient notre fils ", s'écria-t-elle soudain d'une pauvre voix tremblante.... Son père ne répondit point. Mais Jean le vit furtivement essuyer ses yeux, et battre des paupières....il en eut le cœur bien chagrin.

Puis il pensa à son maître, toujours absent, dont il ne savait rien ; c'était là l'occasion d'en savoir plus à son sujet ! Il fixa sur lui sa pensée, récita de nouveau la formule....et, avec un grand cri, s'évanouit tout net.

Quand il revint à lui, il en frissonnait encore. Car son maître, voyez-vous, son maître....n'était nul autre que le Diable, le Diable lui-même ! Ah, il s'était mis là dans de beaux draps !!!

Chez le Diable, pauvre Jean ! Ah, autant dire qu'il faudra rester sur ses gardes ! Puis, Jean se dit que finalement, l'année allait bientôt finir, il prendrait ses gages et chercherait un autre emploi ! En attendant, autant tirer parti du contenu du petit livre livre noir. Voyons....formule pour ouvrir toutes les portes....ah, voilà ! Et Jean travailla et travailla sa formule, jusqu'à ce qu'aucune porte ne lui résiste. Il visita tout le domaine, de fond en comble et de la cave au grenier. Il trouva des salles pleines de trésors, d'autres remplies de pièces d'or ( et en empocha quelques-unes au passage -  dame, charité bien ordonnée....n'est-ce pas !).

Puis vint le plus difficile : il voulut apprendre à se changer en animal, mais ça, c'était pas du petit lait. Il y travailla tant et tant qu'il en négligea son service, et que le vieux cheval gardé aux écuries en vint à mourir, tandis que peu à peu Jean maîtrisait la formule.

Sur ces entrefaites, son maître vint à rentrer au logis. Il vit que son vieux cheval était mort.

- " bah, il n'était plus tout jeune ", dit-il. "  Nous sommes dans les temps de la grande foire de Maray, j'irais samedi en chercher un plus jeune ".
- " Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, mon maître ", se risqua Jean, "  je souhaiterais pour ma part prendre mon jour de congé, le seul de l'année que j'aie, afin de retourner voir les miens, dont je suis sans nouvelles ".

Le Diable se mit à braire :

- " Ah mais pas question ! ça ne fait point mon affaire ! Qui restera à garder mon logis, si tu t'absentes ?? Non non non, pas question de congé !! Tu vas rester ici, et puis c'est tout ! "

Jean ne fut guère content. Il s'en retourna à son alcôve en ruminant dans son for intérieur.
- " Mouais ! " , se disait-il, " Ah ! tu veux veux point me le donner, mon congé, pis tu veux me garder là prisonnier ! Mais on va bin voir c'qu'on verra ! Aussi vrai que je m'appelle Jean-le-Chanceux ! "

Le lendemain, le Diable était reparti. Aussitôt, Jean fourra dans ses habits, bien serrées dans son mouchoir, toutes ses pistoles d'or, puis à l'aide de la formule, il ouvrit la porte et sortit ; le plus vite qu'il put, il se mit alors sous la forme d'un jeune poulain (et c'était un poulain splendide, je vous en réponds !), et prit le galop vers la ferme de ses parents, qui était bien loin, à tel point qu'il n'y arriva que vers le soir. Il arriva dans la clairière, où il trouva son père en train de fendre ses bûches. Mais, étourderie et précipitation de la joie qu'il avait à le revoir, Jean ne pensa pas à reprendre forme humaine ! Si bien que jugez la stupéfaction du vieillard, quand il vit un magnifique poulain tout fumant se précipiter vers lui en s'exclamant :
- " Père ! Père ! Quelle joie de vous revoir ! "

Le vieil homme en tomba évanoui. Aussitôt, Jean, pestant contre lui-même, reprit sa forme humaine. Entendant crier, sa mère accourut, pour trouver son mari évanoui de tout son long au sol, et son fils tentant de le relever.
- " Ne vous inquiétez pas, mère ", s'écria Jean, "portons-le dedans, ranimons-le, et je vous expliquerais tout. "


Ainsi fut fait ; le vieux bonhomme fut tout étonné, en sortant de son évanouissement, de trouver son fils près de lui. Alors, Jean raconta à ses parents toute son histoire, et leur montra les belles pistoles d'or qu'il avait rapportées de son service. 
- " Vous m'aviez envoyé au Diable, mon père, ce qui n'était guère prudent de votre part, car voyez-vous, j'y suis allé ! ", dit Jean à son père sidéré. Les deux vieux n'étaient guère rassurés, craignant que le Diable ne leur fasse des misères en représailles de ses pistoles subtilisées, et de son domestique enfui, mais Jean les rassura.
-  " Mes chers parents, faites-moi confiance, et notre fortune à tous trois est faite. Voici. Demain, cher père, je me remettrai en cheval, et vous m'irez vendre à la foire. Vendez-moi seulement, et je m'occupe du reste. "
Puis ils soupèrent, et s'allèrent coucher.

Le lendemain matin, au chant du coq, le vieux sabotier se leva, et crut avoir rêvé. Il déjeûna d'une écuelle de potage, et sortit soigner ses trois maigres poulets ; quelle ne fut pas sa surprise de trouver le magnifique poulain, pâturant dans l'ouche de derrière !
- " Avez-vous mangé, père ? ", demanda Jean ; " si vous êtes prêt, partons donc pour la foire ! "
Ils se mirent  en route, une fois effectué les derniers préparatifs ; la foire était loin, et le vieux sabotier tenait le poulain en longe, marchant à côté.
-  " Père, montez donc sur mon dos, voyons, nous irons plus vite ainsi ! ", dit Jean. Aussi, l'un portant l'autre, firent-ils à meilleure allure le long chemin vers le champ de foire. Arrivés là, ils cherchèrent le marché aux chevaux, et firent grande impression : car Jean était aussi beau cheval qu'il était beau gars, et il ne tarda point à y avoir foule autour d'eux ; mais nul ne se pressait d'enchérir, car si belle bête, pour sûr, ne pouvait que valoir bien cher, et tout le monde ne pouvait guère s'offrir un tel cheval !

Finalement, le maquignon le plus réputé et le plus retors du champ de foire s'y risqua.
- " Mmmmm ", dit-il après avoir examiné Jean sous toutes les coutures, " cinquante pistoles ? "
- " Vous voulez rire ", répondit le père de Jean. " Ce n'est pas un vieux tocard cagneux que je viens vendre !! "
- "  Bon ", reprit l'autre après avoir ré-examiné Jean d'un bout à l'autre, " soixante-dix ? "
- " Cent ! "  cria une voix ; le Grand Écuyer du Seigneur local venait faire sa remonte.
L'enchère s'échauffait, et les propositions montaient, montaient, les spectateurs suivant l'enchère avec passion et grande attention. A cent quatre-vingt pistoles, le maquignon abandonna ; le Grand Écuyer tendait déjà la main vers la longe lorsqu'une voix caverneuse s'éleva de derrière le cercle des badauds :
- " Deux cent cinquante. "

Tout le monde s'écarta ; un petit homme en noir s'avança alors vers le cheval. Il faisait tellement impression, ce petit homme en noir, qu'un grand silence tomba, et que le Grand Écuyer lui même, tremblant, recula, et cessa d'enchérir. Une bourse bien pleine changea de mains, après que discrètement Jean ait murmuré à son père d'accepter l'offre, et le petit homme en noir repartit avec le magnifique poulain qu'il venait d'acquérir.

En route, il eut envie d'essayer sa nouvelle monture, car tout de même le chemin était long. Aussitôt dit, le voilà sur le dos de Jean, qui au début marcha d'un bon pas bien égal ; voyant cela, le Diable le mit au trot, et Jean trotta. Enfin, voulant essayer toutes les possibilités de son nouvel achat, le Diable mit Jean au galop, et Jean galopa. Il galopa bien, au début, puis peu à peu, il prit de la vitesse, de la vitesse, et insidieusement, il prit le mors aux dents. Le Diable essaya bien de l'arrêter, mais, ouiche ! Il n'y avait pas moyen ! Et Jean galopait, galopait, à pleine vitesse, sur le chemin...puis, dans une courbe, il fila tout droit en sous-bois, longeant les arbres, slalomant entre eux, jusqu'à ce qu'une bonne branche basse de bonne taille le débarrasse de son cavalier : VLAM ! Voici le Diable à terre, un bel œuf sur le front, et son si bel achat tout neuf perdu dans la nature !!!!

Le Diable se releva en pestant, son mouchoir en tampon sur le front, et reprit la direction de chez lui, un peu moulu. Quant à Jean, pour sa part, il galopa à pleine vitesse jusque chez le Diable, ouvrit les portes qu'il lui fallait ouvrir, remplit de nouveau ses poches de pistoles d'or, se re-transforma en cheval et prit la fuite au grand galop.


Quand le Diable arriva enfin chez lui, il trouva porte ouverte et logis vide. Il ne fut pas long à comprendre alors, qu'il avait été berné, et entra dans une grande colère !!! Usant de la formule pour voir au loin, il chercha Jean, et le vit alors sous sa forme de cheval, galopant toujours plus loin. Aussitôt, le Diable se changea en loup et prit sa chasse. Il eut bientôt rattrapé Jean, qui lestement, devint alors une hirondelle, et les crocs du loup ne se fermèrent que sur le vide, tandis qu'à tire-d'ailes Jean fendait l'azur à toute vitesse. Le Diable alors devint faucon, et chassa l'hirondelle. Il allait bientôt la saisir, mais Jean, plus malin, ayant aperçu la fille du Seigneur en partie de campagne, qui mangeait du raisin sous une treille, devint aussitôt grain de raisin et roula sur la gorge de la jeune fille, jusque dans son décolleté. Le Diable aussitôt se mit en grain de blé, et suivit le même chemin. Mais la jeune fille, incommodée, avait secoué sa robe, et grain de blé comme grain de raisin tombèrent alors à terre. Jean, vif comme l'éclair, se mua en coq immédiatement, et se jetant sur le grain de blé, l'avala sans plus ample informé, avant que le Diable, étourdi de sa chute, n'ait repris ses esprits. Jean alors rentra chez lui, alla chercher ses parents, et les mena jusque chez le Diable, où ils prirent possession de son grand domaine. Après l'avoir un peu nettoyé de toutes ses diableries, ils y vécurent heureux, et Jean, devenu bon parti et fort joli jeune homme, finit par épouser la fille du Seigneur de l'endroit, fort heureux de pouvoir, à loisirs désormais, promener ses doigts dans le doux décolleté de sa belle.....

Le dernier écho de vielle s'éteignit doucement, tandis qu'éclataient les applaudissements. La lumière rallumée donna le signal du départ, mais certains s'attardèrent à causer encore, par petits groupes.....Dehors, le brouillard n'avait point faibli, le froid mordait encore, et nous rentrâmes par les routes campagnardes, au pas, les voix des deux conteurs encore dans les oreilles. Nous avions passé une vraiment belle soirée.


[ Pour info, il existe un autre "Jean-le-Chanceux parmi les contes, celui des frères Grimm, mais celui-là, vous n'aurez aucun mal à le trouver- et la trame en est tout autre.]

13 commentaires:

  1. Ah, je l'adore celui-là... et tu le racontes bien.

    Bravo!.

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    1. Merci beaucoup, Pomme ! je le savais, qu'il te plairait, celui-là...:)

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  2. MakesmewonderHum!29 novembre 2012 à 19:50

    Que d'histoires racontées pour habilement choir dans un décolleté!

    En fait j'aime qu'on me raconte de si belle manière, même si gorge à offrir en récompense, je n'ai point, ou plus, et même point t'eus.

    * T' avais raison, j'ai bien fait de rappliquer, sauf qu'eul TGV dan'l brouillard, le paysage c'est plutôt "Ouate de tabaslack".

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    1. Hé hé héééé ! celui-là, c'est du vrai du beau du lourd ! J'avais raison de vous tenir en haleine, et c'est vrai que retranscrire tout cela, de mémoire, par bribes, ce ne fut pas la mince affaire !

      Le brouillard, heureusement, ça dure pas....sorti de la gare, tu verras ! y fera beau !

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  3. ça me rappelle les histoires que me racontait ma grand-mère, ça commençait comme ça : "c'était du temps où le diable vivait parmi les gens...". Tu as un don de conteuse, ça ne fait nul doute ;))

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  4. J'adore la chute dans le décolleté...Hé,hé!

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    1. L'important dans la vie, n'est-ce pas de....rebondir ? ;-)

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    2. oui, mais pas trop haut, sinon, tu te cognes au plafond. ou alors t'installe le trampolin en plein air, biensur.

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  5. super.

    ça file envie d'écrire des conneries qui voltigent, pètent, se saignent ou marchent dans la nuit sur les petits chemins de pierre blanche.

    il faut ressuciter colinot trousse-chemise.

    adieu!

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  6. "faites chier" (hoplite)28 décembre 2012 à 03:54

    pour ben et sa balle dans la tête :

    http://www.youtube.com/watch?v=ihCbVT637aM

    adieu

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allez, dites-moi tout !