Alors le prêtre leva la main, et demanda silence d'une voix d'autorité. Le silence se fit, et chacun attendit. Un loup. Dans l'église. La nuit de Noël. Des hommes, une fois Gris passé devant eux, s'étaient précipités pour revenir de suite, qui armé d'une trique, qui d'une fourche, qui d'une faux, et se massaient devant l'entrée, se tenant prêts à la curée. Chacun tremblait, mais se taisait.
Gris fit encore trois pas, il était presque aux pieds du prêtre, et leva vers lui ses yeux d'or, terrorisé quand il croisa les yeux de l'Homme. Alors, avec un gémissement, il déposa le paquet qu'il tenait sur le sol devant lui, et reculant, s'aplatit, fou de peur, attendant sa mort.
Le paquet avait dû choir un peu brusquement, car soudain il se mit à remuer, et l'on entendit clairement, dans ce silence épais, les vagissements du nouveau-né.
- " Un enfant ! il y a un enfant là-dedans !" s'écria-t-on de tous côtés, et Gris trembla plus fort. Pourtant personne n'osait bouger, pas même les hommes, au fond, armés de fourches et de faux.
Médusé, le prêtre osa quand même s'accroupir, prudemment, et, tirant le paquet à lui, défaire les couvertures. Un enfant. C'était bien cela. Un petit garçon nouveau-né, le cordon pas encore sec, né depuis très peu de temps, et qu'un loup amenait là. Qu'étaient donc devenus les siens ? Il saisit le bébé dans ses mains, et se dressant, le montra à la vue de tous :
- " Voyez, mes Frères" ! s'exclama-t-il, "ce loup nous amène un enfant !!! "
- " Il a dû arriver quelque chose sur la route ", s'écria une matrone.
- " Sur la route ! Ah ! Et mon époux qui n'est pas rentré ! " - Dans l'un des bancs, à droite, une femme tomba évanouie.
Gris, aplati sur le pavé, ne savait plus quoi faire de lui et n'osait pas bouger.
- " Il faut aller porter secours !", dirent plusieurs voix, " il a bien dû se passer quelque chose ! "
- " Et le loup ? qu'allons-nous faire du loup ? ", dirent plusieurs autres.
Le prêtre regarda Gris, plus mort que vif, l'enfant toujours dans ses mains, et parla enfin.
- " Mes Frères ", dit-il, " c'est aujourd'hui la nuit de Noël. En cette nuit nous ne saurions verser le sang d'une créature, fut-ce même un loup, et encore moins en ce lieu. Voyez ! Il a pris le risque de nous amener cet enfant, quand il aurait pu s'en repaître ! Sans lui, cet enfant serait mort cette nuit, avec le froid qu'il fait ! Allons plutôt sur la grand-route, voir si quelque accident ne s'y serait produit, et laissons aller cette bête, qui a fait preuve d'humanité !"
- " Oui, c'est cela ! allons voir ce qui a pu se passer !", crièrent des hommes.
- " Mais de quel côté aller ? ", s'exclamèrent certains.
- " Vers la ville !", s'écria d'une voix étouffée la pauvre femme dont l'époux manquait, " mon mari en revenait, et il n'est pas rentré, et c'est inhabituel !"
En un instant tout le monde se précipita, cherchant lanternes et fourches et tout ce qu'on pouvait. Ce fut une débandade, et jamais, cette année-là, le prêtre ne finit son office de Noël.
Il resta seul, l'enfant pleurant toujours dans ses mains, Gris tremblant et tapi non loin de lui, roulant des yeux affolés. Alors, il se baissa, remmaillota le bébé au chaud dans sa couverture, et doucement, sans oser toucher Gris néanmoins, d'une voix douce il lui dit :
- " Merci, Loup. Tu peux aller à présent. Ta mission est remplie".
Puis il se hâta vers la sacristie, non sans un signe de croix hâtif et quelques excuses à son Dieu, adressées in petto.
(à suivre)
J'espère bien qu'il n'arrivera rien au loup sur son chemin du retour ! Oh non, tu n'aurais pas la cruauté de nous faire subir ça après l'avoir dépeint si sage et, somme toute, sympathique...
RépondreSupprimerQue cette messe est belle, le bon Dieu n'a rien à pardonner au curé, bien au contraire!
RépondreSupprimerJ'aimerais que le mari de la nigaude ait fait partie du festin des loups...
@ Bluebird : Suite (et fin !) demain....:)
RépondreSupprimer@ Manouche : rôôô ! voyons, Manouche, n'as-tu jamais aimé ? elle tremblait, cette femme....n'as-tu pas compris que son mari est ce voyageur serviable qui eut l'humanité de secourir une femme en mal d'enfant, dans le froid de l'hiver ? crois-tu donc que ça mérite d'être payé de mort ? :)
le petit jésus est bien arrivé dans cette église au bon moment !! c'est beau !
RépondreSupprimerQuel courageux ce Gris au risque d'y perdre sa vie finalement ...
mais comment cela va t'il se finir ???
chère lectrice, rendez-vous demain, pour le dernier épisode !!!!! :)
RépondreSupprimerAh! ben y'a plus qu'à espérer qu'on fasse pas un curé de ce gosse...
RépondreSupprimerPronostic:
Le Gris va retourner à sa meute,
Le femme va retrouver son mec et le soigner et ils vont adopter le gosse??
Non, quand même! Tu as sans doute une idée moins banale???
P.
Pomme, ce n'est pas parce qu'une vie est cousue de fil blanc qu'elle est "banale " ! venir au monde dans la neige, se trouver orphelin à peine né, et être déposé au pied d'un curé une nuit de noël, par un loup, constitue sans doute dans une vie un évènement suffisant pour ce pauvre gosse, non ? Toutes les aventures ont une fin, Pomme, et la sienne est vécue.
RépondreSupprimerVouloir "plus", c'est vouloir trop ! :))
Anne ma belle Anne. C'est vrai que chaque naissance est un évènement extraordinaire.
RépondreSupprimerÀ cet enfant l'on donnera un nom Chrétien,
mais toute sa vie on l'appellera l'enfant Loup.
Mais l'homme retiendra t-il quelque chose de l'humanité et du courage de Loup Gris?
Merci Anne. Raymond
"Et la mère de trembler (!)
RépondreSupprimeret vous la comprendrez
si vous z'avez zaimé "
Chère Anne je suis rarement sérieuse...
@ Raymond : je doute....l'homme est un tel monument d'ego..... !
RépondreSupprimer@ Manouche : ouuuuuf ! :))))
Bonjour Anne,
RépondreSupprimer"Les Corpuscules de Krause" en commande... arriveront en février ! ( 26 euros! une bagatelle, pffiu !)
bize
:-)
Oh ! Merci Laure ! chic chic chic ! on se recontactera "off" pour en reparler - Blue a mes coordonnées !
RépondreSupprimerAh...je sens la fin proche, je fais durer moi aussi...
RépondreSupprimerl'humanité d'un loup rachètera-t-elle jamais la bestialité dont l'homme fait preuve à l'égard de son frère?
Merci anne!
Hmf ! J'ai un doute....cependant, essayons. Essayons encore.....
RépondreSupprimerbonjour anne
RépondreSupprimerc'est argane j'ai lu tout en entier , elle est superbe ta nouvelle ,on peut dire un conte de noel et le miracle de noel c'est que le loup a pu sauver sa peau
amitiés
argane
Bonsoir Argane, et merci de ta visite ! Oui, c'en est un en effet - encore qu'on peut dire même qu'il y en ait plus d'un, de miracles, là-dedans ! déjà, un loup qui s'approche des hommes comme ça....qui sauve le gniard au lieu de le finir, qui épargne certains spécifiquement, c'est déjà suffisamment énorme, tu sais ; je ne fais pas d'angélisme, les loups sont des bêtes sauvages menés par leurs instincts, ni purs ni impurs : ils SONT leurs besoins, ni plus, ni moins...voilà en quoi c'est un conte, et en quoi il est merveilleux : j'ai additionné tous les "possible, mais pas certain", en écartant les "probable". d'où ce conte, qui est merveilleux en paraissant ne pas l'être ! ☺
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