jeudi 15 avril 2010

Les histoires de la maison bleue I - Julia i



Julia - i

Lorsqu'elle se fut assez promenée le long de la grève, Julia remonta vers le sable. Elle avait le temps, n'était pas pressée. De toute façon, elle allait effectuer le retour à une allure de vacances, dormirait certainement ce soir dans un hôtel de hasard, aussi décréta-t-elle qu'elle avait le temps, que, de toute façon, ici, dans sa nouvelle vie, elle prendrait le temps ; le temps de goûter, le temps de flâner, le temps qu'elle s'était laissé voler jusque là. Julia changeait de rythme. C'était sa révolution personnelle, à elle seule : elle l'avait décidé, elle ne courrait plus.

Elle s'assit alors sur le sable, non loin du sentier, et regarda la mer vivre indifférente à tout ce qui n'était pas sa vie propre de masse d'eau animée de ses propres lois. Elle rêva d'un petit bateau à la voile blanche, et du plaisir que ce devait être de se laisser bercer mollement, la main sur la barre, à toute petite allure, juste assez loin des côtes.....Julia, à ce moment là de sa vie, avait besoin d'horizon.

Le chien apparut de sur sa gauche, déboulant de derrière les rochers, un gros Terre-Neuve hirsute, noir, gueule ouverte et langue pendante, il courait, pataud, haletant, dans la frange d'écume des déferlantes sages, jouait avec l'eau, décrivant des cercles, trempé et faisant jaillir des gerbes de perles tout autour de lui. Son apparition détonnait dans la rêverie de Julia, il rompait cette harmonie de solitude douillette dans laquelle elle s'était sentie protégée.

Julia, qui n'avait que rarement l'occasion d'approcher une bête, n'était pas trop rassurée et guettait l'apparition de quelqu'un, espérant que l'animal était accompagné. Il ne lui plaisait guère de se trouver seule en compagnie d'un aussi gros chien peut-être errant, et une ombre tomba sur cette journée jusque là idyllique. Que devait-elle faire si le chien l'approchait ? Elle espérait qu'il serait amical, elle souhaitait de toute façon qu'il poursuive son chemin erratique le long de l'eau ; elle tenta de se souvenir de ce qu'elle avait entendu dire : ne pas bouger, ne pas montrer de frayeur, ne pas tourner le dos, rester calme et ferme.

Aussi fut-elle soulagée quand une silhouette se matérialisa au sommet du amas de rochers, sur sa gauche, cherchant son chemin pour descendre sur le sable ; une voix cria "Hannibal ! au pied !", et Julia sut qu'il s'agissait d'une femme. La nouvelle venue, svelte, avait sauté sur le sable et courait à présent vers le chien, en riant. Julia détailla les longues jambes gainées de jean, la grâce de la course, la silhouette agréable - elle lui attribua un âge proche du sien, au jugé, car à cette distance rien n'était très perceptible. La femme portait ses cheveux coupés au cou, des boucles châtain brillantes dans lesquelles le soleil allumait des reflets de flamme.

Le chien l'avait rejointe, et courait tout autour d'elle, s'éloignait puis revenait, joueur, quêter sa main de la truffe. Elle marchait à présent, les mains dans les poches, sa vareuse bleue délavée dégageait son cou dont Julia nota l'élégance. Hannibal, peu à peu calmé, marchait plus posément à sa jambe, et Julia les vit se diriger vers elle, sans doute allaient-ils prendre le sentier. Elle pensa qu'Hannibal et sa maîtresse seraient peut-être ses voisins, et attendit avec curiosité leur approche.

Les traits de la femme devenaient plus visibles à son approche, et Julia admira le visage franc, ouvert, énergique. L'inconnue allait passer, arrivée à sa hauteur elle lui adressa un signe de tête en un salut de courtoisie, comme on en a lorsque l'on se rencontre en un lieu solitaire avec un étranger que l'on croise. Elle allait s'engager dans le sentier quand Hannibal, mû par sa raison canine qui lui enjoignait sans doute de prendre connaissance de tout élément nouveau dans son quotidien, se détourna et s'en vint à Julia de sa comique démarche pataude. Elle se dressa alors, incertaine.

( à suivre)

2 commentaires:

  1. ça donne vraiment envie...
    changer de maison comme changer de peau
    muer ses murs pour se désemmurer du passé...

    le temps comme trésor,
    oh oui je suis d'accord...

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  2. et la durée comme promesse ! oui......

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allez, dites-moi tout !