dimanche 11 avril 2010

Les histoires de la maison bleue I - Julia e


Julia - e


Un moteur de voiture la tira de ses réflexions, l'homme de l'agence arrivait, sans doute. Oui, c'était bien lui. Elle descendit, il la salua, elle serra une main inconsistante, regardant à peine l'individu passe-partout qu'elle avait devant elle, il ressemblait à tous les vendeurs, transparent...Chacun dans sa voiture, lui devant, ils s'engagèrent dans une rue tranquille qui rejoignait la côte, s'éloignant du bourg.

La rue s'étrécissait après les dernières maisons, filait languissamment vers le tout petit hameau trois kilomètres plus loin, vers une grève abritée. Là s'étaient agglutinées quelques maisons, derrière la dune, abritées par des pins, de part et d'autre de la route étroite terminant en sentier ; à cinq cent mètres c'était la mer, masquée par la dune et les pins, Julia en se garant derrière l'homme le long d'une vieille palissade délabrée huma son odeur d'iode et d'algues, entendit sa voix ample et régulière, et frissonna. En sortant de voiture elle sentit le vent doux jouer tout autour d'elle.

L'homme était descendu, montrait la palissade : "C'est là !" - et Julia le suivit vers le portillon vermoulu qui défendait l'entrée, où la pancarte "à vendre" avait été clouée sans soin, de biais, par une main hâtive. Il souleva le loquet, poussa du flanc le vieux bois écaillé gonflé par les intempéries, qui n'en pouvait plus et frottait, et Julia entra à sa suite dans l'enclos où s'érigeait la maison.

C'était une drôle de bâtisse, qui ne ressemblait en rien aux décors pourléchés et soignés dans lesquels elle évoluait d'habitude, et un bref instant, elle eut peur, à l'idée des aménagements à faire, puis elle se ressaisit, redressa les épaules, allons, elle était Julia, elle en avait vu d'autres, mais ce qu'elle avait sous les yeux lui avait restitué, brièvement, les taudis de son quartier populaire, du temps mort de son enfance évanouie, et ça lui en avait presque coupé le souffle. Bon, c'était une vieille maison, inhabitée depuis longtemps, et il y aurait à faire. La Julia qu'elle était devenue notait déjà, mentalement, ce qu'elle ferait ici, et là, et ceci il faudrait l'ôter, ceci, le transformer, allait-elle conserver les couleurs ?

Julia regardait, écoutant à peine le boniment du vendeur présentant son "produit", mètres carrés, hauteur sous plafond, état des lieux, détails pratiques sur le confort, place du compteur électrique.....hochant la tête de temps en temps, poliment, elle était en fait occupée à détailler l'endroit. Un étrange escalier extérieur, rejoignant la galerie de l'étage, prenait pied curieusement juste à côté de la porte d'entrée, décoloré, elle sut que les marches grinceraient et gémiraient avant même d'y engager le pied, et elle comprit que sa maison aurait une voix, une voix à elle, ce n'était pas pour lui déplaire.

De cette maison elle allait faire son amie, elle le savait déjà. Elle qui n'avait jamais pu se rêver d'enfants allait rêver sa maison, et peu à peu la faire sienne. Elle allait acheter "cette" maison, avec son banc dépareillé devant les volets mal joints de la pièce du devant, son pourtour cimenté, ses quatre marches vers une porte d'entrée qu'elle n'allait certainement pas garder de cette horrible couleur..... elle sourit devant les cordes à linge tendue entre les piliers soutenant la galerie, ça aussi, elle allait les enlever, enfin, les déplacer...Elle se découvrait pleine de projets, Julia, en oubliait la logorrhée verbeuse du type de l'agence, et l'herbe folle de la cour délaissée trop longtemps, elle allait acheter cette maison, SA maison, et ça avait un goût inédit de bonheur.

A l'intérieur il faisait délicieusement frais, et dans la pénombre la poussière dansait dans le rai de lumière qui filtrait des volets mal clos. Julia huma l'air, et eut soudain l'impression qu'une maison de vacances, ce devait être cela, un endroit endormi qu'on réveille sans prévenir, soudain, et qui s'emplit de strates de souvenirs heureux, année après année, sans qu'on en aie conscience, jusqu'à ce qu'enfin vieux, ou après une longue absence, tout revienne à grand flot, digues rompues, à l'improviste....le passé de cette maison, dont elle ignorait tout, lui parlait de bonheur paisible, de fleurs séchées, de balades calmes...le vendeur de l'agence la déconcerta en ouvrant les volets avec fracas, pièce par pièce, elle qui eût souhaité cette pénombre encore un peu, pour mieux encore s'imprégner des lieux...

Ils firent le tour de l'endroit, Julia distraite n'écoutant que ses sensations. C'était déjà sa maison, elle allait l'acheter, et l'homme lui paraissait importun, grossier, vulgaire, dans cet endroit qui déjà était sien.

(à suivre)


9 commentaires:

  1. ... Je suis aussi avide de la suite que Julia d'acheter cet endroit.

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  2. Merci, l'Oiseau. Et elle viendra, bien sûr.

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  3. Je suis en retard...
    Je suis en retard...
    Mais je ne suis pas un lapin et j'ai une imprimante. Bien envie de lire tout ça tranquillement installé dans mon canapé.

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  4. Elle a compris Julia que c'est là qu'elle aurait sa première et véritable histoire d'amour après avoir posé librement l'ambiance d'un décors, elle a eu enfin un coup de foudre d'une première rencontre pour une maison-sa maison- dans laquelle elle s'envisage déjà bouger, rêver, rire...vivre sa vie-
    Est ce bien cela?
    ;-)

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  5. @ Shaton : je t'en prie, fais ! tu ne seras pas le premier, du reste, car certains aiment emporter mes écrits pour les lire à loisirs dans leurs endroits favoris !

    @ J.J.: y a de ça et on y va...t'as des antennes toi dis donc ! :) chapeau !

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  6. une maison comme un nourrisson à cajoler, changer...
    une maison comme un amant à dorloter, materner...
    une maison comme un autre soi-même grandi, distancé, dans lequel
    on rattrape ses rêves d'enfant, poursuit sa croissance ...VIT

    comme c'est joliment exprimé!

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  7. je me sens ta Julia dans sa "rencontre" avec le Lieu,
    comment ne pas désirer cette carcasse de planches écaillées par les
    vents marins, pastéllisées par les soleils côtiers...
    HummmMMMM, l'odeur arrive jusqu'au bureau,
    Merci ann

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  8. VOILA ! Tu as compris ce que Julia attend de cette maison, "SA" maison !

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  9. En fait, Julia attendait un quelque part qui soit vraiment SA place - elle qui n'avait vécu que chez ses parents, d'abord, ou bien chez Jacques, ensuite, ou bien chez d'autres en location, pendant ses études....Julia cherche où implanter ses racines flottantes !

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allez, dites-moi tout !