Août est déjà bien avancé, et sur les ronces le long des haies les fruits ont succédés aux fleurs. D'abord rouges et charnues, les mûres ont foncé peu à peu, glissant vers le noir, et les voilà prêtes, moelleuses au toucher, se détachant au premier effleurement.
- "Demain, je fais la tarte aux mûres !" ai-je annoncé triomphalement, et l'homme qui m'aime s'en est réjoui, la mine gourmande ; il faudra faire la pâte dans le grand saladier de grès, les avants-bras couverts de farine poudreuse, foncer le moule à tarte noirci de longs services, préparer dans la jatte le sucre en poudre ; et il faudra cueillir les mûres, les belles mûres odorantes qui tachent les doigts, dans les ronces et les orties, le long des haies.
La nuit a passé. J'ai pris des vêtements qui ne redoutent plus rien, des chaussures solides et un bol. J'ai marché jusqu'au pied de la haie, dans l'herbe humide du matin, et le soleil montre le bout de son nez entre des touffes de coton blanc. L'odeur fraîche des matins de fin d'été envahit tout, un petit vent frisquet parle déjà d'automne. Les mûres sont là, en grappes, rondes et dodues, brillantes et comme cirées par la rosée nocturne, tout le long de la haie.
Alors, mon bol à la main je m'approche. D'abord, je grappille, et je picore ici et là les fruits de ma convoitise. Le goût explose dans ma bouche, aigrelet et doux tout à la fois, aimable et sauvage ensemble ; mes dents s'agacent des pépins. C'est bon. Mon bol vide à la main, je mange, les doigts tachés de jus violet. Je regarde les guêpes voleter le long des fruits, à la recherche des plus mûrs pour s'y poser et s'y nourrir, jusqu'à l'ivresse, du bon jus sucré. Des papillons poudrés d'ocre, un ocelle orange cerné de noir sur leurs ailes hasardeuses, gigotent un peu partout. Des oiseaux invisibles s'égosillent tant et plus, et leur passage ne se devine que par le froissement de leurs plumes à l'envol et le mouvement fugace des rameaux d'où ils s'élancent.
Je cueille, en me griffant les poignets aux ronces, et mon bol s'emplit peu à peu. Presque immobile je dois, en tendant la main, me garer des grandes orties, fleuries, plus hautes que moi, qui m'effleurent le visage quand j'écarte les longs jets souples du roncier. Des tas de petites bestioles colorées de noir, de brun et d'ocre, parfois de vert, courent le long des tiges et sur les feuilles. Des araignées ont tendu là, et tapies immobiles, une patte sur un fil, guettent l'imprudence fatale qui leur donnera à déjeuner, prêtes à jaillir aux moindres vibrations. Des chardonnerets, timides, vifs comme des flèches se posent un instant, picorent le haut des grandes orties et fuient d'un trait, apeurés de rien. Ça vole, ça vrombit, ça caquette à tous les étages dans la vaste haie touffue dont je dérange les habitudes.
Je remplis mon bol, peu à peu, avec sur les doigts le jus généreux des fruits mûrs et l'odeur fraîche qui s'en exhale. J'ai de la fête dans le coeur.
Le vent joue dans l'herbe mouillée et dans les lianes souples du roncier, qui m'accroche et qui me retient par mille petites aiguilles, et il me faut patiemment m'en dégager, griffée, les cheveux que j'ai négligé d'attacher pris aux épines, les mains déchirées, des accrocs pleins les vêtements, parce que je veux, obstinée, les gros beaux fruits qui jaillissent des hauteurs, au creux de la haie, plus tentants et plus savoureux. Je piétine au passage la menthe sauvage qui fleurit en touffes denses au pied de la haie, et son odeur poivrée m'enveloppe.
J'ai rempli mon bol peu à peu, et il gît, oublié, posé à terre tandis que je picore en regardant vivre la haie, ivre du matin libre, du vent frais et des chants d'oiseaux. Et longtemps je regarde le vol des guêpes autour des fruits, la bouche enchantée du goût des mûres, et tout le jeu de la vie qui grappille là, luxuriante, la dernière providence avant les durs temps de l'hiver.
Tout à l'heure, dans la cuisine tiède, je poserai sur la table le grand saladier de grès pesant, et poudrée de farine je pétrirai la pâte pour la tarte, la première tarte aux mûres de la saison.
Quel talent, j'étais avec toi durant cette cueillette si bien décrite, je sens presque l'odeur de cette tarte à la sortie du four, dis tu m'en gardes une part ? Bises à toi.
RépondreSupprimerVolontiers Kat, profites-en c'est le temps des tares, des confiture et des bocaux ! L'hiver pourra bien venir, on a de quoi lui rire au nez...
RépondreSupprimerBises & sourire !
Si c'est le temps des tares, alors j'ai bien fait de venir, rire... au nez de l'hiver... Bises encore et... bientôt sur tes joues...
RépondreSupprimerJ'étais mûr pour lire un tel récit ! C'est comme si j'y étais, bottines en moins, les guêpes faisant la valse dans ma sueur.
RépondreSupprimerJe suis allé aux fraises avec ma femme il y a trois semaines. Elle en ramasse toujours moins que moi mais elle s'en gave... elle a pour principe d'en ramasser moins et d'en manger le double.
Je reviens à tes mûres: magnifiquement décrit, comme un vidéo. Je n'ai pas le nez aussi fin que Kat pour en sentir l'odeur mais... j'en suis déjà à ma deuxième pointe de tarte !
Kat : Des tarTes ! ouh là là, c'est plus mon heure, là ! hihihi ! bises Kat, oui, c'est dans tellement bientôt que j'en dors plus la nuit, dis donc ! ouh là là !
RépondreSupprimerA fleur de peau : bin dis voir ! tu s'rais pas un bout gourmand des fois ? reprends-en, tant qu'il en reste c'est fait pour être mangé, c'est la preuve qu'elle est bonne ! pis partage avec ta belle, hein, quand même....ou, tiens, donnes lui une part aussi, c'est bien mieux ! la fête, ça se partage...!
Etaler la pâte reposée
RépondreSupprimerPlacer soigneusement chaque fruit
Puis dans le four préchauffé
Poser le corps du délit
Objet de toutes les convoitises
Hummmm...
Bises, Anne
L'oiseau
Bon, dès que la tarte est prete, fais moi signe, j'arrive en courant Anne, tu me connais...
RépondreSupprimerje porterai une bouteille de cidre, d'accord ?
allez bisou sauvage sur ta joue, passe un bon dimanche...
Bluebird : j'adore ton com, t'es en forme ce matin ! La cuisson est bientôt finie, tu vas pouvoir déguster....bises, l'Oiseau !
RépondreSupprimerPierrot : bon dimanche ! c'est quand ça te dis ! jus d'orange pour moi, je n'absorbe aucun alcool, sous quelque forme que ce soit.
Moi, j'veux bien, mais c'est pas à coté dis donc...bise à toi, bon dimanche...
RépondreSupprimermmmm ! ça tu nous le fait vivre ! c'est magnifique ! j'aime ! tu pétris tes phrases comme une pâte et ton écriture elle se savoure merveilleusement. C'est sensuel, c'est simple et vrai. c'est un hymne à la vie, aux joies simples, c'est tout ce qui compte en fait ! bises (eh ! tu m'as mis du rouge).
RépondreSupprimerQuel plaisir de lire votre texte !
RépondreSupprimerVous devriez écrire un livre !
Depuis l'âge de 9 ans , j'habite la campagne , au milieu des champs .
Que de fois ai-je ramassé des mures !
Cela m'arrive encore souvent , hier par exemple .
Vous parlez des mures des haies .
Connaissez vous les mûres qui poussent dans les chaumes après la moisson ?
J'en serai étonné car cette variété de mûres a besoin, pour pousser et fructifier, que l'agriculteur disque les chaumes très tardivement , ce qui est très rare actuellement .
Ces mûres de chaumes sont au ras du sol , plus rondes que celles des haies et surtout, beaucoup plus parfumées , plus juteuses .
On en trouve parfois, avec un peu de chance .
Mélangées avec celles de haies , elles donnent des tartes éblouissantes !
Avec quelle pâte faites vous la tarte ?
Ma préférée pour ce genre de gâteau est la brisée sucrée ,et plus épaisse qu'il ne faudrait .
Si les mures ont trop de jus , mon épouse tapisse le fond avec des miettes de boudoirs qui absorbent l'exédent de liquide .
Je vous souhaite de vous régaler avec les fruits que vos avez ramassés .
Bon dimanche .
Carole : oups ! j'avais oublié de m'essuyer le museau ! tu veux une part ? et merci de ton gentil com...
RépondreSupprimerJean : Très bonne idée les miettes de boudoirs dans le fond, ce que je fais aussi, c'est que je ne sucre la tarte qu'en la sortant du four ! ça fait que le jus devient gelée en refroidissant...je fais une pâte brisée, un peu épaisse aussi, oui, c'est ce qui convient le mieux. Par contre, j'évite de ramasser les mûres trop bas, à cause des renards, nombreux chez nous, et des graves maladies qu'ils peuvent transmettre - ils aiment les mûres, aussi, et lèvent la patte n'importe où....c'est de la prudence. On ne voit pas ces mûres qui poussent dans les chaumes, ici, du reste, des chaumes....c'est disqué tout de suite chez nous !
Bon dimanche, Jean !
Jean a raison, tu devrais écrire un livre !
RépondreSupprimerle sage a dit : " avant de bâtir une maison, trouver d'abord des pierres".....
RépondreSupprimerDont acte.
Pis bon, j'ai jamais fait ça moi ????
Tu ne manques pas de souffle Anne, Et puis il faut bien une première fois, pour tout non ?!
RépondreSupprimerMerci, Carole !
RépondreSupprimerSacré talent de narration ! Les belles images surgies de tes mots m'ont donné l'eau à la bouche, de mûres comme de nature. Je reviendrai ! :)
RépondreSupprimerMerci, euquinorev, bienvenue et repasses quand tu veux, il y a de quoi lire !
RépondreSupprimerMoi qui pensait ne pas aimer la campagne, me voilà, rêvant d'y être et pourquoi pas de faire une tarte à partager avec vous.
RépondreSupprimerTout arrive, Myel ! Je suis bien contente si j'ai pu entrouvrir une seconde mon univers à quelqu'un qui le connaît peu....
RépondreSupprimerJuste un petit coucou rapide, pour le plaisir...bisou et bonne journée Anne, calins aux anes...
RépondreSupprimerMerci Pierrot, bonne journée à toi aussi, mes amitiés à ce pauvre Nours à qui tu joues tant de tours pendables !
RépondreSupprimerUn pur enchantement, pour les yeux et la mémoire que cette belle histoire, fruitée de noires héroïnes;
RépondreSupprimerquel délice, que ce retour quarante ans en arrière, quand je partais, de concert, dans les mêmes épopées que toi, les chardonnerets et orties en moins, faute d'humidité dans nos contrées méridionales...
quelle tentation enfin que cette royale fête du palais promise par la pâte sablée avec amour et son diadème sang et nuit, pailleté de cristaux sucrés...
HuMmmmmmm, on en mangerait!
Vas-y Dom, te prives pas ! sers-toi ! ou va faire un tour en cambrousse, on est en plein dedans, t'as plus qu'à aller en chercher !
RépondreSupprimeret merci....!
en 2 temps, 3 mouvements...
RépondreSupprimerce qui est épatant, anne, avec tes textes, c'est qu'on y revient une 2ième fois (comme pour la tarte)
pour y déguster les nombreux et fort sympathiques commentaires que ton talent proseur génère.
D'accord avec Carole pour ta sensualité et la NECESSITE que tu écrives!!!!
allez, zou, entre deux tartes et deux traites, non????
à bientôt
ça Dom, tu vois, ça a été ma plus belle surprise depuis longtemps, et un vrai cadeau de la vie : des gens qui aiment, des gens qui me lisent, des gens qui me parlent ; un grand bonheur dont je m'étonne encore ! Quoi ? ça plaît donc, ce que je raconte, ce que je suis ?
RépondreSupprimerMerci à vous tous d'être là avec moi dans cette aventure, merci de vos blogs qui sont autant d'espaces où je découvre, j'apprends, je guette, je vibre, je vis....Merci de vos sourires, de votre présence - ce ne sont pourtant que de petites histoires, mes petites histoires, qui vont et viennent, comme il leur plaît....je suis moins cultivée que beaucoup d'entre vous, j'ai moins de mémoire, moins de savoirs...tout ce que j'ai su devenir dans la vie, c'est une paysanne, et encore est-ce fini déjà, et ça ne m'a jamais nourrie !
Et voilà ce blog, vos sourires et vos encouragements....je suis très émue.
Je ne trais plus les biquettes, Dom, j'ai décidé qu'elles avaient droit aussi à la retraite, elles que j'ai tant exploitées....!
bises, et merci !
ma chère Anne ! Je dirais juste ceci : en te lisant on se dit : enfin ! enfin quelqu'un qui s'exprime avec ferveur et qui dit ce qu'elle est avec sincérité. la culture n'est souvent qu'un vernis inutile. c'est pour cela que tant de gens apprécient tes écrits et ta belle présence sur les blogs. C'est moi qui te remercie Anne ... Vraiment.
RépondreSupprimerencore un petit mot : sers toi de ce tremplin pour aller plus loin. courage !
RépondreSupprimerMerci Carole, ton amitié est une couverture par temps froid, elle fait du bien,il y aura d'autres histoires, à lire ici, même si pour l'instant j'ai du mal à monter la côte !
RépondreSupprimerbises
Bonjour Anne,
RépondreSupprimerMerci pour ce très joli texte sucré à merveille. Il est exactement midi vingt. Je crois que je vais aller faire un petit tour dans ma cuisine. :=)
Bonne journée.
Bon appétit, alors ! y a une part de rab au frigo !
RépondreSupprimerBon j'arrive trop tard... il ne doit plus rester de tarte ! Mais quel bonheur de te lire du ramassage des mûres au pétrissage de la pâte...merci pour ce joli moment partagé de ta sensuelle écriture...bizzz
RépondreSupprimerMeuh si, il en reste ma belle ! Ici c'est magique, quand y en a plus y en a encore ! Vas-y, sers-toi, attrape une chaise contre le mur, on va se serrer....!
RépondreSupprimerMais non, le nours est mon copain, tu sais bien, d'ailleurs, aujourd'hui, il me défend...bise petite Anne, passe une bonne journée...
RépondreSupprimerheu...il reste de la tarte ?
Bonne journée Pierrot, oui, il en reste ! une part ?
RépondreSupprimerDac, mais juste une petite part, je fais gaffe à ma ligne, je veux rester svelte et séduisant...merci de ton commentaire sous mon songe, tu m'as bien fait sourire...bisou et bonne journée...
RépondreSupprimerJe peux?
RépondreSupprimerBlue : et comment que tu peux ! bien sûr que tu peux ! y a juste à pousser la porte, dire bonjour à la cantonnade, comme ça, s'asseoir et tendre la main, attraper une assiette une fourchette ou ses doigts, fais à ton idée, à ta convenance, il y a du cidre au frais et des jus de fruits, installes-toi !
RépondreSupprimerGénial, je me sens bien chez toi...
RépondreSupprimerBises.
Blue
Bin ça tu vois, Blue, ça me fait vachement plaisir....bises !
RépondreSupprimerVite fait le mur, pour goûter la tarte aux mures à tomber les murs par terre et grandir au monde, en veillant au grain, noir comme la liberté de s'en maquiller de plaisir aux coins des lèvres; Puis saisir une bolée fraiche pour trinquer à la fraternité sans cesse à renouveler.
RépondreSupprimer:-)
Merci Jean Jacques, c'est sympa dêtre venu avec du cidre ! santé et fraternité à toi aussi ! :-)
RépondreSupprimerSmack à toi Anne, passe une bonne journée...
RépondreSupprimerBonne journée Pierrot ! bisous !
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