Monsieur Hector - 12
Jean-Michel resta un instant immobile, regardant son oncle étendu sur le sol. Il pensait à sa mère. Voilà, le combat était mené, et il était vainqueur. Il était chez lui désormais. Il chercha du regard le panier, qui avait roulé un peu plus loin, et alla le ramasser. Puis, traversant l'enfilade des arbres, il marcha jusqu'aux framboisiers où il avait dissimulé les pêches, les magnifiques pêches qu'il ne goûterait que l'année prochaine, et qui attendaient là, sur un lit d'herbes, intactes.
Soigneusement, avec toute la tendresse que méritaient de telles merveilles, il les déposa dans le panier, qu'il revint placer près de Monsieur Hector, sous le pêcher. Puis il s'en fut calmement, les mains dans les poches, attendre chez lui la suite des évènements. Il n'avait plus besoin désormais de se dissimuler. Il referma soigneusement la porte de derrière, au moyen de sa grosse clef noire. Il arborait un petit sourire satisfait. Mais alors, très, très, satisfait.
On fut longtemps à l'office à attendre le retour de Monsieur Hector, qu'on raillait de sa gourmandise et de ses manies. Mais l'ouvrage pressait, et l'on travaillait. Puis quelqu'un émit l'opinion qu'il aurait dû être de retour depuis longtemps avec ses pêches, et on pensa à le chercher. On le trouva déjà raidi. Au pied du pêcher les trois fruits savoureux trônaient dans leur panier, sur un lit de papier de soie. Ce fut, pour tout le monde, une sidération. Monsieur Hector n'avait pas quarante ans.
On appela d'abord son médecin, qui prévint son curé, puis son notaire, qui prévint le libraire. Le médecin conclut à une attaque foudroyante, sans doute consécutive aux dérèglements mentaux dont lui parlèrent les employés. Le curé emplit ses fonctions auprès de lui pour la première fois depuis qu'il le connaissait. Le notaire s'inquiéta du devenir de ses biens, et le libraire se taisait et pleurait. C'en était terminé des déjeuners mensuels.
La nouvelle fit le tour de la ville, et tout le monde se posa la même question : qu'allait-il donc advenir du grand domaine ? Le personnel de Monsieur Hector s'inquiétait, lui, pour son avenir, et le jardinier qui dormait mal soignait plus que jamais ses plantations.
On enterra Monsieur Hector dans le caveau de famille auprès de ses parents, et son notaire s'occupa de faire l'inventaire de ses biens et de régler la succession. L'Etat, pensait-il, allait se trouver bien servi. Aussi faillit-il avoir lui-même une attaque, lorsqu'en fouillant dans la paperasse, il tomba sur le livret de famille : il y avait une soeur !
Et toute la ville d'en parler de nouveau, tant cela était extraordinaire. Une soeur ? Comment cela, une soeur ?
Comme ça, une soeur. Qu'on avait délaissée, rejetée, spoliée, écartée, ignorée. Une soeur qui héritait, figurez-vous. On chercha Diane. Et les choses allèrent, comme vont ces sortes de choses.
A quelques temps de là, la voiture du notaire s'arrêta devant le grand portail sévère qui donnait sur la grande avenue. En sortit le notaire, puis une dame en noir, puis un joli petit garçon au visage sérieux. Le notaire actionna le timbre et attendit qu'on vînt ouvrir. Diane eut un frisson lorsqu'elle entendit la clef tourner dans la serrure. Un instant, elle eut peur de revoir le Monsieur Hector de ses sept ans la toiser de nouveau, le vantail ouvert.
Mais ce n'était qu'un domestique, dont les yeux s'agrandirent quand il vit le petit garçon qui s'avançait pour entrer le premier.
Et Jean-Michel, fier et droit, s'engagea dans l'allée.
FIN
Anne, 6 août 2008
Ah! j'adore ce crime parfait!
RépondreSupprimerVous avez votre place parmi les "Reines du Crime"..
Bravo
PP
Quelle sensualité, quel amour de la nature, quelle finesse dans l'analyse de l'âme humaine,
RépondreSupprimerMaestra!
alors moi j'arrive en retard, prends ce divin blog à reculons, l'avantage est de satisfaire mon impatiente boulimie:
imprimés tous les épisodes du père Hector, dont je me suis délectée depuis hier, par tranches savoureuses comme on déguste un cake fort fruité, tout en travaillant (mais oui, qu'on peut faire plusieurs choses en même temps!)
ce récit devrait trouver place au rayon jeunesse, chez un éditeur pour enfants et plus grands, as tu essayé, anne?
en tous cas, moi, j'ai RDV avec Carole maintenant,
non mais ce blog, quelle mine d'or!
bises papivores plein les papilles
Merci, ma Domivore, je ronronne - non, je n'ai jamais essayé de publier quoi que ce soit, bien que plusieurs personnes m'en aient déjà parlé. Chais pas....faut voir....
RépondreSupprimerQuelqu'un au Québec a écrit une phrase savoureuse. Il s'agit de notre plus grand humoriste. Yvon Deschamps. Il a écrit: " On veux pa savouère, on veux vouère. " Il faut te faire publier Anne ma belle Anne. Ne vois-tu pas au loin l'un de ces vils éditeurs qui se pourlèchent déjà les babines sur le pourcentage qu'il prendra sur tes futurs livres. Amicalement...Raymond. J'ai beaucoup aimé. Tu as beaucoup de talent. Ne le laisse pas pourrir dans un tiroir.
RépondreSupprimerMerci beaucoup, Raymond. C'est que, tu vois, jusque là je n'avais pas encore beaucoup d'écrits, en stock, et puis....bah, je me dis que ce ne sont pas grand-chose, mes petites historiettes....Un peu de quoi se distraire cinq minutes en passant......Je crois que je ne suis pas très douée, tu sais, pour me mettre en avant. Et elles ne pourrissent pas dans un tiroir, mes histoires, puisque je vous les offre à lire......passe le lien, invite tes amis.....ça leur plaira peut-être aussi, qui sait ? ☺
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