[Celui-là, peu s'en fallut que je ne le supprimasse ; je n'osais pas ; puis, ce n'était peut-être pas le bon moment ; puis, je n'étais pas sûre d'avoir bien réussi, puis...j'étais un peu gênée, je n'ai pas habitude d'écrire dans ce domaine : il me fallait faire juste, sans nager dans le bourbeux...ah ! combien j'ai hésité ! Monsieur l'Homme, consulté (la moindre des choses !), m'a donné son feu vert. En outre, j'ai d'autres choses à dire, et je ne sais pas modifier l'adresse de publication, acte qui m'eût permis d'en différer l'édition... J'ai tourné et retourné tout cela un moment, et puis zut ! je me lance : si je commence à me censurer, comment même continuer d'écrire ? Mais je ne suis guère à l'aise, c'est vrai.]
Nocturne
Il dort. Il dort parce qu'il fait nuit, et qu'il est las. Etendu bien au milieu du grand lit, il gît, les bras épars, et je regarde sa poitrine se soulever rythmiquement ; son souffle est comme le souvenir du ressac sur la plage, au soir.
Je souris parce qu'il dort calme et sûr qu'aucun danger ne le menace, qu'il se repose enfin. Mais je m'approche, méchante puisque je vais l'éveiller, lui qui dort si quiet sans plus songer à rien. Assise sur le bord du lit j'abaisse le drap sur sa poitrine, découvrant tout son torse, et je souris, misérable que je suis !, du vilain tour que je m'apprête à lui jouer en dérangeant son repos.
Je le regarde respirer, bouche entrouverte, et d'un doigt léger j'effleure ses lèvres, j'en dessine les contours, mon doigt frôle sa joue, descend le long de son cou, longe l'épaule où j'aime tant appuyer ma tête, passe le long du bras ferme pour l'instant amolli dans le sommeil, et j'appuie enfin toute ma paume entre ses seins plats où se dessinent des muscles. Il a frémi, ses paupières ont battu, mais son sommeil ne cède pas encore, et dans un soupir il tourne seulement la tête. Sous ma main bat son coeur.
Je souris, et je le regarde. Attentive au moindre frémissement de son visage, je confie à ma main le soin de l'explorer seule, et je la sens glisser le long du flanc souple dont la peau tressaille soudain, comme celle du cheval agacé par les mouches. Je l'ai placée en travers de son ventre ; j'écoute son sommeil soulever régulièrement ma paume, et doucement je fais glisser le drap, plus bas, plus bas encore, avant de remonter jusqu'à son épaule que j'enserre doucement, presque sans appuyer, pour en sentir cette rondeur différente de la mienne, un peu osseuse, et qui m'étonne.
Je redescend tout le long de lui, tous mes doigts écartés, dans une longue caresse lente, jusqu'à ce que ma main, posée enfin, m'apprenne qu'il ne dort plus...vraiment.
Je me mords les lèvres dans un rire silencieux. Le malin ! Rien ne laisse paraître qu'il est éveillé, mais son souffle a changé de rythme, mais un frisson l'a parcouru entier, et il s'étire et s'ouvre, dans une attente muette.
Alors je me penche, et ma bouche épouse la sienne dans un frôlement de soie, fermée, cajoleuse, puis glisse et suis, tout au long de lui, le chemin que tout à l'heure traçait ma main, puis s'ouvre, puis se ferme, et le capture. Sa main s'abat sur ma nuque, sans brutalité mais ferme elle m'interdit tout recul, et ses doigts se crispent dans mes cheveux tandis que la houle de son bassin largue toutes nos amarres.
Docile et sage je vais à son rythme, ma main perdue aux alentours frôle et caresse, explore et redécouvre, et robinsonne sur ces rivages mouvants.
Puis, vilaine, je me dégage et je fuis, et je ris de son dépit. Piqué au vif il riposte, ses bras m'enserrent, impérieux ; me font basculer sur le lit ouvert où tout à l'heure il dormait si paisible, ses mains sur mes épaules me maîtrisent et s'imposent, et je plie, et je cède. Je lis dans ses yeux sa détermination, et je frémis d'une angoisse délicieuse.
Son rude genou d'homme vient forcer les miens, ses mains dictent leur loi sur tout mon territoire, je suis son fief et sa vassale, puis plus rien n'existe que l'appel et l'attente de sa victoire, et je ferme les yeux, éperdue, j'abdique toute fierté dans un gémissement qui consacre ma défaite ; alors, vengé du mauvais tour que je lui ai joué il rit, cruel, et investit la place qui n'est plus défendue.
C'est ensemble que nous réinventons l'éternité, dans ce temps aboli des amants enlacés, portés par la même vague qui me laisse molle et sans forces attachée à lui, si loin de moi-même que j'en aurais presque honte.
Jusqu'à ce que ce cri que je ne sais pas retenir consacre son triomphe, jusqu'à ce que tendu comme un arc il se cambre et s'abatte, épuisé, dans un ultime effort, et que nos souffles courts racontent seuls le voyage d'où nous revenons.
Alors nos mains apaisées parlent enfin de concorde et je me relève de ma chute, adoucie et tendre, câline. Je me love tout autour de lui et ses bras refermés sur moi parlent de paix et de sécurité, et j'écoute son coeur apaiser doucement sa course, jusqu'à ce que son souffle, régulier de nouveau, m'annonce son besoin de repos. Il s'étire de tout son long dans un sourire, le soupir de bien-être des enfants repus aux lèvres, et se laisse glisser dans le sommeil invincible des hommes au retour du combat.
Dans la nuit douce je veille et j'écoute, et mon sourire sur son sommeil est son seul talisman.
C'est très beau, Anne ! Jamais je n'oserais écrire sur mes nuits d'amour : mais vous avez bien fait d'avoir ce courage ! Je suis d'accord : à bas les puritains qui auraient quelque chose à y redire.
RépondreSupprimermerci, Carole ; j'étais néanmoins dans mes p'tits souliers, et "j'f'rais pas ça tous les jours", pour plagier une pub célèbre...
RépondreSupprimerMagnifique texte !
RépondreSupprimerJ'en suis tout remué !
Beauté , sensualité , délicatesse , sensibilité , imagination créatrice , tout est là !
Un énorme bravo !
De l'ART !
Mais ce n'est pas un mauvais tour que vous lui jouez!
RépondreSupprimerEt puis c'est plein de pudeur... tout est dit, rien ne choque... C'est l'amour....
Qui flotte dans l'air à la ronde,
C'est l'amour,
Qui console le pauvre monde,
C'est l'amour,
Qui nous rendra la liberté...
Bravo!!!
Encore heureux que tu ne te sois pas censurée ! Que voilà un texte magnifique, un véritable bijoux qui suggère mais jamais ne montre. Et c'est un exploit car la frontière est mince entre la sensualité et la vulgarité. C'est vraiment magnifique, bravo.
RépondreSupprimerL'oiseau
Merci à tous,merci beaucoup, parce que quand j'ai cliqué sur "publier maintenant" je ne me faisais pas fière ! Jamais je n'aurais cru qu'on puisse se payer de telles sueurs froides avec un clavier....!
RépondreSupprimerQue dire j'arrive un peu tard, l'essentiel l'a été. Tu as bien fait de ne pas nous priver d'un si beau moment, c'est doux, tendre, fort, puissant, C'Est...
RépondreSupprimerhihi, c'est ma plus belle frousse depuis longtemps, surtout !
RépondreSupprimerTrès beau texte, bien écrit,quoi de plus humain ?
RépondreSupprimerje decouvre ce texte aujourd'hui seulement...tout est sublimement dit et suggéré ..joli moment de sensualité...bizzz
RépondreSupprimerMerci, Rénica ! comme quoi il arrive que l'on se surprenne : je n'aurais jamais cru pouvoir écrire un jour quelque chose de ce genre-là !
RépondreSupprimerIl y a une vraie force dans ton écriture beaucoup de fragilité aussi... elle vibre !
RépondreSupprimerMerci, rénica, je suis très touchée, et heureuse de te voir remonter le courant !
RépondreSupprimerQuelle beauté , quelle veine bleue tressaillant dans cette verve!
RépondreSupprimerQue tu as eu raison de censurer la censure, de nous offrir cet éloge érotique d’une si belle retenue,
Que tu as été attentionnée à l’égard de l’Homme en le consultant et comme il te l’a bien rendu, nimbant de tous ses feux verts la confiance qu’il t’accorde.
Que c’est bon de te lire, anne !
Merci, Dom ! Bien sûr que je lui ai demandé permission ! il ne me serait pas venu à l'esprit de passer outre,où serait le respect que l'on se doit, où, la confiance, alors ?
RépondreSupprimerEt ma foi, si les grincheux rechignent, que font-ils sur cette page ?
Elle est pour ceux qui aiment, sourire aux lèvres, et joie au coeur !
bises, Dom !
à présent que je connais l'Homme, la féministe tatillonne, carillonne en moi:
RépondreSupprimers'agissait il de permission?
je ne peux imaginer que ton homme, progressiste au grand coeur, t'interdise quoique ce soit,
en revanche solliciter son avis, s'assurer que le sujet ne le prenne pas à rebrousse poil, c'est bien sur
faire preuve de tact à son endroit.
Ah ! bien sûr que nooooon !, ce n'était pas une "permission" ! mais se fût-il senti un tantisoit gêné, et ce texte ne serait jamais devenu public, c'est d'abord du respect ! c'est dans ce sens qu'il faut comprendre mes mots ! car, non, il ne m'accorde pas de "permission", ni moi, parce qu'aucun des deux n'a à prendre le pouvoir sur l'autre ! il va de soi....
RépondreSupprimerMais dis-moi, quand tu "l'allumes" (moi aussi je me censure hein...) ton homme, tu le fais avec a main gauche ou la main droite? :-)
RépondreSupprimerIl est trèèèès beau ce texte!
@++
Sousou - Homme!
Je suis une droitière gauchisante....
RépondreSupprimeret merci de ton appréciation !
t'as fait un séminaire d'écriture érotique ? Bravo !
RépondreSupprimerHeu....non, mais je me suis bien amusée, en tout cas !!
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