Monsieur Hector - 10
Les fois d'après, il passait au portail dire bonjour au jardinier, et lorsque celui-ci ne pouvait le faire entrer, il feignait de prendre congé, tournait dans le chemin de derrière et se servait de sa clef ; puis, bien caché, il épiait les allées et venus de Monsieur Hector, afin de se faire une idée de ses habitudes. Parfois il venait tôt le matin, et la pauvre Diane se plaignait alors de ne plus le voir, car elle craignait pour son fils les amitiés des rues. Jean-Michel souriait, l'embrassait et partait aussitôt, en lui disant de ne rien craindre : il ne faisait rien de mal. Mais Diane l'inquiète n'était jamais tout à fait rassurée.
Dans ce temps-là, Monsieur Hector connut quelques déboires qui n'améliorèrent pas son humeur. Les objets, paraissant animés d'une noire malice, avaient pris le parti de disparaître à tout bout-de-champ. C'était un livre, posé à côté de lui sur un banc, qu'il ne retrouvait plus, ou ses lunettes, déposées sur son livre après qu'il eût cessé de lire, qu'il retrouvait après les avoir vainement cherchées, sur un banc près du jardin d'eau. Il en allait de même de maints autres objets qui semblaient s'être ainsi ligués contre lui, et on aurait dit qu'une armée de malicieux petits lutins s'amusaient à le harceler. Il en devenait irritable, et son personnel se demandait si le patron n'était pas déjà en train de "perdre la boule", selon l'expression populaire. Monsieur Hector lui-même s surprenait parfois à se poser la même question.
Il devenait fébrile, et s'agaçait facilement. Puis survint une mésaventure qui le laissa pantois. On avait, en pépinière, semé des lavandes, qu'on devait mettre en place dans les parterres, le soir à la fraîche. La terre, nettoyée, était prête à les recevoir. Adossées à un muret, elles devaient constituer les plantes du fond de la plate-bande. Le jardinier avait préparé les plants, les avait transférés en godets, avait attendu leur reprise, et prévint Monsieur Hector qu'il allait les installer le soir même. Celui-ci opina, et assura qu'il irait en première heure le lendemain juger de l'effet produit, afin de déterminer quelles seraient les plantes qu'il faudrait installer sur le devant.
Or le lendemain matin la terre se montra telle que la veille, nue et aplanie, et Monsieur Hector, furibond, poussa les hauts cris, et se dandina jusqu'aux potagers pour demander à son jardinier de qui on se moquait ici ! Il n'aperçut pas Jean-Michel, qui, replié sous des fougères derrière le muret avec les jeunes lavandes à côté de lui, riait silencieusement ; son oncle à peine hors de vue, il se hâta de replanter les pauvres plantes, d'arroser et d'unir le terrain, avant de se recacher, ayant bien pris soin de ne laisser aucune trace. Lorsque Monsieur Hector revint, gesticulant et postillonnant, en compagnie du jardinier, celui-ci était en train d'assurer qu'il avait bel et bien effectué la plantation la veille, d'ailleurs, enfin, elles y étaient bien, les plantes ! Monsieur Hector regarda, et eut un hoquet de surprise. De magnifiques plants de lavande occupaient le fond de la plate-bande. Il en resta coi. Son jardinier eut un haussement d'épaules, demanda si l'on avait encore besoin de lui, et retourna biner ses carottes. Monsieur Hector s'épongeait le front, ébahi. Et Jean-Michel avait bien du mal à ne pas éclater de rire au nez de son oncle.
Deux ou trois fois l'affaire se renouvela : un matin c'était les poireaux repiqués de la veille, qu'il découvrait racines en l'air, et qui réapparaissaient dans le bon sens, le temps qu'il aille quérir quelqu'un ; un autre jour les boutures de chrysanthèmes, disparues de la pépinière et découvertes au milieu des oignons, au potager, revenaient à leur place mystérieusement. Ses gens commençaient à le croire réellement fou, et il en eut des palpitations. Il en venait à redouter la visite de ses jardins, dans la crainte de ces phénomènes inexplicables.
Le jardinier s'était bien un peu demandé s'il n'y avait pas de la farce là-desous, et avait pensé à l'enfant, mais comment serait-il entré, et si tôt le matin ? Par acquit de conscience, il demanda quand même à Jean-Michel s'il y était pour quelque chose, mais le gamin, levant sur lui des yeux candides, répondit par la même question qu'il se posait : comment aurait-il pu faire ? Et le jardinier entreprit de questionner quelqu'un d'autre. L'affaire avait fait le tour du personnel, chacun s'interrogeait. Le jardinier dut se résoudre à abandonner l'hypothèse de la farce ; ne restait qu'une possibilité : Monsieur Hector sombrait peu à peu dans la maladie mentale.
Jean-Michel se disait qu'il était presque à point, et qu'il allait bientôt pouvoir porter l'estocade.
(à suivre)
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