mercredi 20 mai 2009

Carole - 2



Carole (2)

En fait elle pleure tout le temps, Carole, en devenant toute rouge, elle met sa tête dans ses mains et elle renifle et ça lui secoue les épaules et ça fait presque pas de bruit. D'ailleurs Carole, elle en fait pas du bruit, elle chuchote avec ses copines, elle ne court pas souvent parce que sa mère lui dit attention chérie ne cours pas tu vas tomber, et jamais elle a des croûtes sur les genoux alors que moi hou là là, elle ne grimpe pas dans les arbres avec les garçons, elle ne fait pas du vélo en se lâchant les mains, elle ne dit pas des vrais gros mots, elle joue juste à la maman avec ses poupées idiotes qu'elle change tout le temps, et elle ne parle que des robes et des bijoux, elle saute jamais dans les flaques d'eau pour éclabousser, et c'est chiant de jouer avec tellement on s'ennuie. Quand elle joue Carole, ça ressemble tellement à la vie des grandes personnes qu'il paraît qu'on aura plus tard que zut, moi ça me saoule ! Et elle rapporte aux adultes si on désobéit, et quand on la gronde elle devient toute rouge et elle pleure. T'as même pas de plaisir à taper dessus elle se bat même pas.

Mais loin des grandes personnes, avec ses copines, c'est une vraie vipère Carole, elle dit plein de méchancetés aux autres, et elles sont un groupe de filles qui jouent toujours ensemble, doucement, et les adultes disent ha comme elles sont sages regarde pourquoi tu n'es pas sage comme ça et du coup je les déteste, en plus les petites filles comme moi ou Djamila qui vient d'Algérie ou Maria-Rosa qui est Portugaise elles veulent même pas leur parler, elles se moquent parce qu'on n'est pas aussi riches, mais nous, on a des habits qu'on peut salir et pas elles. Alors on commence avec des coups de langue parce qu'elles sont agaçantes à la fin, et ça finit qu'on donne des gifles et des coups de pieds et qu'on tire les cheveux et elles pleurent et on est punies. Nous, Djamila et Maria-Rosa et moi et d'autres, nos papas ils travaillent dans des usines alors que elles, leurs papas vont au bureau et ça fait pas pareil.

Carole, c'est vraiment une plaie.

Alors quand je peux éviter de me la farcir c'est bien. Quand elle vient pas à la maison Carole elle joue avec les autres filles comme elle, et moi avec mes copains. On est filles et garçons et on se marre vraiment bien parce qu'on est pas en sucre nous, alors on vit pour de vrai. On fait la course en vélo et on se prend des gadins terribles, et une fois un garçon s'est ouvert le genou jusqu'à l'os, et une autre fois un autre c'était la tête et c'était plein de sang il a fallu le recoudre et il chialait fallait voir ! ça pleure pas beaucoup les garçons mais quand ça le fait dis donc ça s'entend. Qu'est-ce qu'on a rigolé ! Maintenant quand il fait son mariolle on le chagne et on l'imite quand il est tombé et il aime pas ça et on se bagarre avec plein de coups de pieds et il rentre bouder chez lui mais le lendemain c'est fini parce qu'on est des copains et que jouer tout seul chez soi c'est moins rigolo.

On joue au ballon aussi, et puis aux billes, ou alors on fait une marelle avec un bâton dans la terre du trottoir, ou à la guerre et on est les indiens et les cow-boys et les cow-boys viennent voler nos terres ancestrales et on se défend parce que c'est quoi cette façon de s'installer comme ça chez les autres sans demander ? Et là ça chauffe et on se dispute et on rigole vraiment bien. Des fois comme j'aime ça courir et grimper aux arbres et que je me bats y en a à l'école qui me traitent de garçon manqué, et aussi à cause de mes cheveux courts et que j'aime pas les robes mais avec une robe tu peux pas vraiment bien t'amuser faut tout le temps faire attention qu'on voie pas ta culotte et tu peux même pas faire le cochon pendu aux balançoires. J'aime pas ça quand on me dit garçon manqué parce que je trouve que pour être une fille on est pas forcé d'être comme Carole qui sait rien faire que d'habiller des poupées, et je trouve que j'ai rien de manqué si j'aime remuer et faire plein de vrais trucs intéressants, comme jouer avec de la terre ou se lâcher les mains en vélo sans se ratatiner. Alors celui qui me dit ça je le tape et même si c'est un garçon des fois je peux le faire pleurer. Moi, j'ai pas peur, même si je pleure après parce que j'ai mal à cause des coups mais l'autre aussi il a mal ça oui je le jure !

Des fois je joue toute seule à la maison parce que les autres sont occupés ou que les mamans ne veulent pas qu'ils sortent. Un truc que j'aime bien, c'est de monter sur le rebord de la fenêtre, il y a juste une barre d'appui et tu peux t'asseoir en passant les jambes dans le vide avec juste tes mains pour tenir la barre que tu sens contre ton ventre et c'est haut et si tu glisse tu peux passer sous la barre et tomber et là mon vieux tu meurs c'est sûr ! Alors ça me fout les jetons et je serre très fort la barre et mes mains sont moites à cause du vertige et du danger c'est génial. Le vide, c'est bizarre, ça te fout les jetons mais ça t'attire. Quand je joue comme ça si ma mère me voit purée elle crie et elle me sort de là et je met vite le bras devant ma figure parce que gare aux calottes !

Carole, elle ne jouerait jamais à ça, elle est trop peureuse, elle ne fait jamais rien d'interdit, et on me la donne toujours en exemple c'est pas marrant. Moi j'ai pas envie de lui ressembler. Elle est sournoise, Carole. Avec les adultes, elle fait des mines, elle est timide, elle leur parle avec une petite voix en se tortillant, les yeux baissés, et si c'est un monsieur qui lui parle elle devient toute rouge. Mais moi les grands, je les regarde en face, c'est quand même plus pratique déjà pour savoir quand va tomber la gifle, parce qu'on m'en donne souvent, et ils disent que je suis pas dressable. Je les regarde en face et en général ils me font pas peur, sauf monsieur Voisin du bout de la rue, lui je sais pas pourquoi il a une façon de me regarder ça me fait comme si j'étais Carole, quand il s'arrête discuter avec mes parents et que je dois lui dire bonjour j'ai les jetons, il m'attire contre lui en entourant mes hanches avec son bras et il tapote ma cuisse on dirait qu'il tâte si je suis bientôt bonne à manger, je me sens toute raide avec le souffle qui se bloque, et moi je rougis pas mais je peux plus parler, et le regarder, j'ose pas. Mes parents, ils sont contents parce que je suis bien polie et que je ressemble à une vraie petite fille là au moins, et moi je me dis qu'heureusement qu'ils sont là mes parents parce que j'aimerais pas me trouver toute seule avec ce bonhomme mais je sais pas pourquoi. Devant lui, c'est comme si j'étais sur le rebord de la fenêtre : j'ai le vertige. Enfin, un genre de vertige. Pourtant, je viens toujours lui dire bonjour, je sais pas pourquoi, et mes parents croient que je l'aime bien et même lui il le croit, c'est bête les adultes, ça comprend rien aux enfants. Mais moi, quand il vient ce bonhomme là, c'est moi que je comprends pas. Et quand Carole est à la maison quand il s'arrête, qu'est-ce que je me marre ! Il fait pareil avec elle, et des tas de compliments et tout et Carole, elle est pétrifiée et toute rouge et moi je me tords.
(à suivre)

2 commentaires:

  1. C'est fiction ou biographie?
    Du coup, je me souviens de mes propres "Caroles"
    Caroles, casseroles???
    J'attends la suite...
    PP

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  2. La fin est PURE FICTION, juré-craché ! le reste...c'est selon...
    Ah, vous avez eu aussi vos "Caroles", Pomme ? Sale engeance, hein ?

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allez, dites-moi tout !