Monsieur Hector - 7
Diane écouta son fils avec consternation. Il ne fallait pas ! Il ne fallait pas que l'on pût apprendre qui il était ! Il ne fallait pas que Monsieur Hector le trouve sur son chemin ! Ce que Jean-Michel ignorait lui brûlait les lèvres, mais elle devait continuer de se taire ; elle sentait l'affolement la gagner, mais ne put se résoudre à gronder son petit garçon, tout fier d'être entré, lui, dans le jardin, et d'avoir vu de près les pivoines écarlates. Il racontait, racontait, rouge et excité, fier de lui, de sa chance, et Diane écoutait, en tremblant, elle ne pouvait s'empêcher d'être heureuse que son fils ait vu un peu de ce qu'elle avait eu tout loisir, elle, de voir autrefois, et dont le souvenir à cet instant l'envahissait toute entière.
Elle avait à la fois envie de rire et de pleurer. Que dire à Jean-Michel ? Elle pensa à Soeur Clotilde. Elle irait la voir dimanche, et prendrait conseil auprès d'elle. N'était-elle pas, dans sa vie, la première affection qu'elle eût rencontré, la plus solide, la mieux avisée ? Elle irait dimanche. La voix de l'enfant la tira de sa pensée :
- "M'man, tu les connais toi les jardins ?"
Diane chercha ses mots.
- "Ecoutes, mon chéri, oui, je connais les jardins. Du moins, je les ai connu dans le temps. Il paraît qu'ils sont encore plus beaux aujourd'hui que quand j'étais petite. Mais je connais aussi la réputation de Monsieur Hector. Il n'a pas aimé m'y rencontrer, car il les aime pour lui seul. Il est riche, pas nous. Nous aurions des ennuis à le mécontenter, et il ne faut plus que tu y retournes. Sois sage et ne cherche plus à entrer. Veux-tu ?"
Jean-Michel n'aimait pas chagriner sa mère, il promit - tout en croisant les doigts derrière son dos. Car il avait compris que quelque chose chez cet homme-là l'effrayait, et qu'il ne savait pas tout. Or c'était un petit garçon volontaire, et la propriété de Monsieur Hector l'attirait trop ; il décida qu'à l'avenir il tairait les visites qu'il y ferait. Taire quelque chose, ce n'est pas mentir, n'est-ce pas ? Jean-Michel opta pour le silence, et pour la première fois eut un secret pour sa mère.
Diane le renvoya jouer, tout en se reprochant de n'avoir pas su, elle, résister à l'envie d'approcher de chez son frère, et d'avoir ainsi éveillé chez son fils une curiosité déplorable, au point même d'être allé rôder chez des gens, ce pour quoi elle l'avait d'ailleurs repris.
Le dimanche suivant ils rendirent visite à Soeur Clotilde, restée fidèle à son pensionnat dans la ville voisine. Jean-Michel aimait ces visites car il fallait, pour s'y rendre, prendre le chemin de fer, et même sur une banquette de troisième classe, c'était une aventure.
Soeur Clotilde les reçut dans le jardin privatif des religieuses. Les élèves n'y étaient pas admises, et l'endroit, dépouillé, entre ses allées gravillonnées, ses bancs de pierre, sa petite fontaine centrale et ses plates bandes à la française, empli d'une austère beauté, inspirait le recueillement. Souvent Jean-Michel s'y était ennuyé, mais cette fois il regardait les plantes, et ne fut pas long à trouver la Soeur Jardinière, afin de se faire indiquer les noms des végétaux et les soins qu'il leur fallait. Diane et Soeur Clotilde, sur un banc à l'ombre, discutaient à mi-voix.
La Soeur Jardinière avait à s'absenter, et Jean-Michel se retrouva seul. Il se rapprocha du banc où était sa mère, cherchant l'ombre, tentant de retenir ce qu'il venait d'apprendre. Il marchait doucement ; les deux femmes, toutes à leur conversation, ne prirent pas garde à son approche. A quelques pas, il entendit qu'on parlait de lui. Arrêté derrière elles, il écouta.
Diane racontait comment il était allé chez Monsieur Hector, et sa peur, et les reproches qu'elle se faisait, l'expectative où elle se trouvait ; elle rappela les clauses du contrat passé avec son frère, et pourquoi elle avait caché à son fils qui elle était vraiment, qui Monsieur Hector était vraiment.
Jean-Michel était sidéré. Ainsi, il était le neveu de Monsieur Hector ! Pétrifié, il restait derrière les deux femmes, silencieux. Il avait du chagrin que sa mère lui eût menti. Des questions se bousculaient à sa bouche, qu'il n'osait pas poser. Il avait envie de tout savoir.
Il n'entendit pas la suite de la conversation. Il partit, le plus doucement qu'il put, de crainte d'être aperçu. Assis sur la margelle de la fontaine, il faisait rouler machinalement une poignée de cailloux d'une main dans l'autre, réfléchissant.
Il était le neveu de Monsieur Hector, qui ne voulait ni de sa mère, ni de lui. Il ne comprenait pas pourquoi. Jean-Michel était un petit garçon qui avait bon coeur. Le rejet, l'indifférence et l'égoïsme lui étaient étrangers ; mais il commençait à comprendre que sa maman avait eu beaucoup de peine, et bien des malheurs, avant de rencontrer Soeur Clotilde et de le mettre au monde. Il l'aima davantage, et lui en voulut moins. Son père ne le préoccupait pas bien souvent, mais cette fois-ci il se prit à y penser ; au fond, il en ignorait tout.
Mais surtout, il pensait aux jardins. Il les désirait plus fort que jamais, maintenant qu'il savait. Car il se sentait spolié. Si Monsieur Hector avait été bon, il aurait eu soin de sa soeur, ils auraient vécu en famille, et lui, Jean-Michel, aurait tout appris sur les plantes, et aurait mis toutes ses forces à embellir les lieux. Ce qui l'indignait, c'était que Monsieur Hector n'ait consenti à loger Diane qu'après la démarche de Soeur Clotilde, loin de lui, en exigeant d'elle secret et renoncement. Si sa mère avait été moins douce, moins effacée, si elle n'avait pas reculé devant la crainte du scandale, les choses auraient pu se trouver différentes. Puis il revit en pensée son quartier et leur petit appartement. Ainsi, l'immeuble était à Monsieur Hector ! C'était lui, le propriétaire, "leur" propriétaire ! Jean-Michel avait du mal à tout saisir, c'était trop complexe.
Il entendit soudain sa mère l'appeler et sauta sur ses pieds. Rentrait-on ? Non, on ne rentrait pas ; mais Soeur Clotilde avait à lui parler, tandis qu'elle irait saluer ses anciennes maîtresses et revoir les lieux où elle avait grandi.
Et Soeur Clotilde enfin lui raconta tout ce qu'elle savait, répondit à toutes ses questions, tant sur Monsieur Hector que sur son père.
Quand ils reprirent le train ce dimanche-là, Jean-Michel eut l'étrange sentiment de laisser derrière lui un petit garçon qui n'était plus lui. Ils se taisaient, sa mère et lui, chacun dans ses pensées. Elle n'osait pas parler à l'enfant en face d'elle, inquiète pourtant de ce qu'il pensait. Et lui ruminait un sacré paquet de nouvelles.
Arrivés devant leur immeuble, enfin, il la regarda et lui sourit.
- "Nous n'avons pas besoin de Monsieur Hector, m'man. C'est pas quelqu'un d'interressant de toute façon. Et puis, tu sais, mon père, il aurait pu être autrement si ça avait marché. C'est le souci qui lui a pas réussi, c'est tout !"
Diane pouffa, et embrassa son petit garçon. " Quel souci peut bien réussir à qui que ce soit ?" se dit-elle en riant. Elle était soulagée. Ils parlèrent longtemps tous les deux ce soir-là.
(à suivre)
Ah!ah! ça se corse...
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