Carole (6)
III
J'ai mal dormi jusqu'à l'enterrement de Carole, j'avais peur tout le temps que quelqu'un vienne dire que c'était moi, et puis la nuit dans mes rêves je la revoyais Carole, quand je l'ai fait tomber dans l'eau et que j'ai pris la branche pour appuyer sur sa tête, et ça me réveillait en claquant des dents et en pleurant. Le médecin est venu et depuis j'ai un sirop pour dormir la nuit. Je sais pas quand j'oublierai. Je pense que je pourrai jamais être comme avant maintenant. J'avais peur que Carole revienne comme un fantôme mais Monsieur le Curé a dit que les revenants c'est juste de la superstition, mais moi je sais pas si je dois le croire.
Tout le monde dans la rue a veillé Carole avec sa maman avant l'enterrement, et ma maman m'a emmenée lui dire adieu à Carole et mon vieux j'ai bien cru que j'allais tomber dans les pommes ou pisser dans ma culotte tellement j'ai eu les jetons. J'avais la trouille qu'elle s'assoie sur son lit de mort pour tendre le doigt vers moi et dire "c'est elle", j'en claquais des dents et ma maman m'a vite emmenée. Tout le monde a été gentil avec moi en pensant que j'avais beaucoup de chagrin pour ma copine et ma maman a dit que je suis impressionnable, et moi j'ai pensé qu'ils étaient tous vraiment trop cons mais j'ai rien dit, je suis sage en ce moment parce que j'ai peur qu'on devine. Carole, elle était allongée sur le lit de sa chambre, on lui a remis sa robe préférée lavée et repassée, et son noeud noir pour tenir ses cheveux coiffés comme chez les Anglais, et dans ses mains croisées sur la poitrine elle tient un joli petit chapelet de nacre. Et sa maman pleure toute la journée et même la nuit. C'est triste pour elle parce que déjà qu'elle avait plus de monsieur ! ça me dérange d'avoir tué Carole quand je vois sa maman qui pleure mais j'avais pas d'autre idée pour m'en débarrasser. Et sa maman me cajole en disant à ma mère qu'elle a bien de la chance de m'avoir encore, allons je suis turbulente mais c'est tout, et moi en pensée je chagne parce que c'est moi qu'elle cajole sa maman maintenant.
Et puis on a enterré Carole avec des tas de fleurs blanches et tout, c'était super long et y a eu de la belle musique avec de l'orgue sauf que le magnétophone du curé il est pas aussi bien que la chaîne hi-fi du grand frère de François, et on était tous, même Valérie qui pleurait comme une Madeleine, et moi aussi j'ai pleuré mais de soulagement, personne ne se doute, y a que ma conscience qui est pas fière. Je m'en sors bien je trouve. Un truc pareil plus jamais je fais ça, ça fout trop les chocottes.
La maison de Carole est à vendre, sa maman veut plus rester ici parce qu'il y a trop de souvenirs elle dit, elle a rangé dans des malles les jolis jouets et les habits de Carole avec des trucs qui puent pour empêcher les mites, et elle est partie parce que c'était trop douloureux, qu'elle dit.
Et moi je fais comme Carole, semblant devant les grandes personnes. Quand elles trouvent qu'il faut que j'aille faire un tour pour pas tomber malade et me changer les idées, je dis oui et j'y vais, et dès qu'on peut plus me voir ni m'entendre je cours et je chante et je danse : plus jamais je finirai les vieilles robes de Carole.
FIN
[13 juillet 2008 - Anne] - NOTA : il s'agit, évidemment, d'une FICTION (pour ceux qui croiraient que...)
C'est bien fait!
RépondreSupprimerJ'ai eu ma Carole, il y a quelques années et si je ne l'ai pas tuée, ce n'est pas faute d'en avoir eu envie.
n'empêche, j'ai fait des trucs et elle a eu un accident de voiture grave. Et comme ce que j'ai fait , personne n'y croit....
Bon, mais vite... un autre histoire!
PP
ça va venir...restez en ligne...
RépondreSupprimeret, heu...poupée vaudou ? maraboutage ? j'teux d'sorts ?
Quel talent de conteuse encore et quel sens du suspens...
RépondreSupprimerTerrible leçon de vie, dès l'enfance, où l'on apprivoise la haine de l'autre...pour en jouer, mais pas toujours,
elle marque au fouet et laisse meurtri aussi;
remarquable langage de l'enfance, on la voit si bien la petite fille qui se joue de l'injustice entre deux râclées...
Ton talent fictionnel me rappelle celui de Carol Joyce Oates, une auteure américaine qui explore souvent l’aspect sado masochiste des rapports humains ;
Ce que je trouve remarquable dans ton récit c’est qu’il positionne bel et bien le lecteur comme un juré…comment réagirions nous devant une telle histoire, tant elle est crédible et réaliste ?
Comment ne pas comprendre la réaction de la narratrice, comment ne pas la justifier ?
Qui peut être juge de la souffrance d’autrui ?
Voilà la vraie question que tu poses, avec brio.
bise tiède de l'après midi
Merci infiniment, Dom, je suis bien heureuse que ce texte soulève quelques questions....Bises tièdes ? il fait donc beau ailleurs ? Ici on grelotte en gilet de laine par-dessus le pull....il pleut....oh, retrouver l'été, quelque part !
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