Monsieur Hector - 5
La vie s'organisa, pour les uns et les autres. Monsieur Hector, pétomane matinal, choyait ses plantes avec ardeur, et se délectait de mets raffinés ; il ne pensait plus jamais à sa soeur, et jouissait de la vie qu'il s'était faite. Diane, entre son emploi, Soeur Clotilde et sa concierge, élevait avec amour son petit garçon, soucieuse parfois de son avenir, s'il venait à lui arriver quelque chose, à elle, mais c'était une mère : l'inquiétude faisait partie de sa vie. L'existence modeste qu'elle menait ne lui pesait point, parce qu'elle savait que gagner son pain pouvait être bien plus dur, et parce qu'elle vivait entre des personnes qui lui étaient bonnes.
L'enfant de Diane, qui s'appelait Jean-Michel, grandissait heureux dans son quartier, au milieu de ses camarades, sous l'oeil affectueux de sa mère.
Les années passèrent, Jean-Michel eut dix ans. C'était un enfant dégourdi, rieur et malin. Il avait bon coeur, mais la turbulence naturelle aux garçons de cet âge lui causait parfois quelques désagréments. En classe il apprenait bien, sans être pour autant brillant. Agile et preste, il aimait les jeux d'action, et ne manquait pas d'amis. C'était un bel enfant, élancé, aux traits réguliers. Et il aimait sa mère, parce qu'elle était douce et l'aimait, lui, et qu'il se sentait, à dix ans, plus fort et plus brave qu'elle ; Jean-Michel était un petit garçon normal. Il se savait orphelin de père, mais s'était étonné quelquefois de ne pas avoir, comme ses camarades, des grands-parents, des oncles et des cousins, une famille enfin. Sa mère lui avait expliqué alors qu'étant orpheline, il n'y avait plus personne autour d'elle, que Soeur Clotilde lui avait tenu lieu de tout, et que la vie était ainsi faite.
Elle avait à coeur de tenir la promesse faite à son frère, à qui elle était reconnaissante de lui fournir un toit, même de mauvaise grâce. Elle pensait aussi qu'il valait mieux pour l'enfant tout ignorer de son oncle, de ses grands-parents, et du vaste domaine aux grands jardins. Elle craignait qu'il ne devînt envieux d'une vie qui ne devait jamais être la sienne. Il serait peut-être devenu malheureux, n'aurait plus regardé alors le monde qu'avec les yeux de la rancune, et qui sait si cela ne l'aurait pas poussé au mal ? Elle se souvenait de ses années d'exil argentin, et de l'homme empli d'espérance qu'elle avait vu déchoir, pas à pas, jusqu'à sa fin. Elle ignorait jusqu'à quel point son fils pouvait tenir de lui ; après tout elle l'avait très peu connu, car ce n'était pas à elle qu'il s'était ouvert de ses espoirs ou de ses projets, ni de son passé ; pour lui elle n'avait été qu'un bien matériel de plus, parce qu'il faut bien posséder une femme si l'on veut propager son nom à la surface du globe. Si elle en avait souffert, elle l'avait enduré avec patience, parce que depuis toujours habituée à l'effacement à quoi on l'avait vouée, l'idée ne lui était jamais venue de murmurer contre son sort, pensant qu'il en allait de même pour toutes les femmes. Souffrir et se taire était l'héritage d'Eve, c'était l'enseignement qu'on lui avait donné, et l'abnégation le lot des femmes, en réparation de la seule faute éternelle qui ne serait jamais lavée, avec, peut-être, celle de Caïn.
L'injustice de ce postulat, et du sort qui lui avait été infligé par les siens, ne lui apparaissaient pas.
Cependant elle ne pouvait effacer de sa mémoire le souvenir des jardins merveilleux où elle avait marché petite fille, et souvent le dimanche, lorsqu'ils se promenaient de par la ville, son fils et elle, arrivant sur la vaste avenue sur laquelle ouvrait la propriété de Monsieur Hector, ils longeaient alors les hauts murs qui s'étiraient longuement, et le vaste portail de fer de l'entrée, profitant dans la belle saison des parfums épandus par la brise ; et elle avait l'espoir de voir, en passant, le grand portail aux lourds vantaux s'ouvrir devant quelqu'un, afin d'apercevoir un peu de la grande allée, des buis et des parterres. Mais elle craignait aussi de rencontrer son frère, à qui elle avait promis de se tenir éloignée ; qu'arriverait-il si, indisposé contre elle, il les privait du toit qu'il leur offrait ? Alors elle tremblait en passant, et marchait plus vite, le coeur battant, ne jetant qu'un regard furtif vers le grand portail sévère à panneaux pleins.
Jean-Michel, en grandissant, avait fini par s'apercevoir de son trouble, et il pensait que le lieu devait abriter quelqu'un de bien puissant et de bien terrible, pour que sa mère tremble ainsi ; mais il la savait craintive et réservée, et il la plaisantait à ce propos. Un jour qu'il avait demandé en riant si c'était l'Ogre des contes qui habitait là, sa mère avait répondu : " C'est la maison de Monsieur Hector", avec un tel ton d'anxiété que la curiosité de l'enfant s'en était trouvée éveillée. Il se demandait qui pouvait bien être cet homme qui inquiétait sa mère, et ils étaient deux désormais à guetter le portail dans leurs promenades dominicales : l'une espérait entrevoir l'allée de ses souvenirs, l'autre attendait une rencontre. Mais ils ne se trouvèrent jamais à passer dans le moment où Monsieur Hector faisait ouvrir.
(à suivre)
Mais enfin, comment cet Hector peut-il être un bon jardinier????
RépondreSupprimerOu il a une qualité cachée, ou alors une plante carnivore va le bouffer;
Ah! peut-être qu'il va faire des allergies et se gratter comme une fou???
Sale Type!
PP
Il a tout donné à ses plantes...et c'est pas lui qui marne, c'est sa valetaille ! Lui, il profite, il agence, il ordonne...mais il ne touche à rien !
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