jeudi 28 mai 2009

Monsieur Hector (4)



Monsieur Hector - 1

Puis Diane eut seize ans, l'âge où l'on quittait d'ordinaire le pensionnat, soit pour attendre dans sa famille l'obligatoire mari, soit pour entrer en condition lorsqu'on devait gagner sa vie. Qu'allait-on en faire ? Sa mère préconisait le voile, ce qui ne coûterait qu'une dot, le renoncement matériel laissant ainsi à son fils bien-aimé la quasi intégralité des biens qui lui avaient été destinés. Le père hésitait encore. Il vint voir sa fille, à cette occasion, dans l'idée de se déterminer entre le cloître ou le mari. Il se trouva devant une jolie jeune fille inconnue, qui le dévisageait avec inquiétude, et il eut alors, lui qui n'avait pas eu à vivre dans sa chair les affres de l'enfantement qui indisposaient tant sa femme contre la petite, un élan de pitié et de gêne envers cette innocente qu'ils avaient pris tant soin d'écarter de leur vie. Il ne put sans frémir envisager d'enfermer à jamais derrière les murs d'un couvent une enfant aussi jeune, alors qu'elle avait déjà été privée, il s'en rendit compte à cet instant, de tout ce qu'une demoiselle de sa condition aurait pu recevoir. Il décida de la marier. Ce fut, à peu près, le seul geste paternel qu'il eut jamais pour elle.

On chercha donc un mari pour Diane, et l'on trouva un jeune homme de dix ans son aîné, plus riche d'espérances que d'avoirs, mais comme on comptait la doter au minimum, on ne pouvait guère prétendre à mieux. Il avait le projet d'émigrer en Argentine pour y cultiver l'hévéa, ce qui fut déterminant, et le père de Monsieur Hector se hâta de réaliser une part des biens qui devaient plus tard revenir à sa fille, pour la dot et l'installation du jeune ménage ; Monsieur Hector, alors âgé de vingt-six ans, craignit pour ses prérogatives, mais il fut vite rassuré : la dotation faite à sa soeur, substantielle, était autant qu'elle ne recevrait pas plus tard, et ce serait lui qui, de toute manière, hériterait du plus gros, ce qui l'assurait de vivre confortablement la vie qu'il lui plairait de mener. Rasséréné, Monsieur Hector retourna à la plantation des amaryllis, qui étaient son dada cette année-là, et ne s'occupa plus de l'affaire.

On maria Diane aussi vite qu'on put, heureux d'en être enfin débarrassé, et elle partit pour l'Argentine, pleurant Soeur Clotilde et tremblant devant l'inconnu, au bras d'un homme qu'elle avait vu trois fois : une pour les présentations, une pour les fiançailles, une pour les épousailles.

En cinq ans, son mari la rendit mère, la ruina et la laissa veuve, ce dont elle eut le bon goût de ne pas se plaindre. Il lui était devenu odieux.

L'hévéa n'avait pas poussé comme prévu, et le garçon, dégoûté, avait trompé ses espérances déçues dans le jeu, l'alcool et les femmes, comme maints autres aventuriers avant lui, pour mourir en fin de compte de la fièvre jaune, à bon escient, libérant enfin la pauvre Diane d'une sujétion qu'elle avait déploré plus d'une fois dans les larmes, l'angoisse et la solitude. Elle vendit tout du mieux qu'elle put, remboursa à peine les dettes contractées par le défunt, et reprit le bateau pour la France, un enfant de trois ans à la main, ne sachant que devenir ni que faire, et pas même où aller.

Elle ne put se résoudre à se présenter dans sa famille, à qui elle n'avait pas osé écrire, et qui du reste en cinq ans n'avait pas donné signe de vie ; c'est tout naturellement qu'elle alla sonner à la porte du pensionnat, où Soeur Clotilde demanda pour elle asile et la recueillit, comme autrefois, avec la même bonté et bien du soulagement. Ce fut elle qui écrivit au père de Monsieur Hector, afin de l'informer du retour de sa fille et de s'enquérir des dispositions à prendre. Et Diane trembla, parce qu'elle allait encore déranger ces gens qu'elle ennuyait.

Ce fut Monsieur Hector lui-même qui répondit cette fois-ci, et Diane apprit ainsi qu'elle était orpheline. La grippe avait précipité ses parents dans la tombe, et leur vieux notaire n'avait eu que le temps de régler la succession avant d'en faire autant. Monsieur Hector était désormais le maître de la vaste demeure où elle avait vécu quelques jours à l'âge de sept ans, et ce qui restait de sa part d'héritage dormait à la banque, mais c'était bien peu à côté de ce qu'elle avait reçu de son père en se mariant. Or le plus gros avait été dilapidé dans l'hévéa argentin, et dans les aléas qui s'ensuivirent. Diane ne savait que faire. Monsieur Hector, dans son courrier, ne lui offrait pas de gîte, et elle ne pouvait rester trop longtemps chez les religieuses.

Soeur Clotilde lui conseilla de prendre un état, et s'en fut déranger Monsieur Hector dans son confort, outrée que cet être égoïste ait l'audace d'abandonner sa propre soeur dans le besoin. Monsieur Hector n'avait nulle envie de partager, avec qui que ce soit, un bien qu'il avait de tout temps considéré comme le sien propre, et ses parents avant lui. De plus, le sort de cette soeur qu'il connaissait si peu lui était assez indifférent, et lui qui aimait mieux que l'on s'occupe de lui plutôt que d'avoir à s'occuper d'autrui, était assez ennuyé du dérangement qu'elle causait dans son existence. Mais il n'osa pas non plus renvoyer une religieuse. A force de chercher une solution, on trouva : Monsieur Hector logerait Diane et son fils dans un appartement d'un de ses immeubles de rapport, sans loyer, charge à elle de prendre un état suffisamment rétribué pour manger et élever son enfant. Les seules conditions qu'il y mit était de ne jamais les voir ni l'un ni l'autre, ne souhaitant pas s'en encombrer, et qu'elle n'allât dire nulle part qu'elle était sa soeur, afin que nul ne jase. Monsieur Hector la voulait aussi effacée que possible, et force fut d'accepter.

Soeur Clotilde pinça de nouveau les lèvres, et se retira munie d'une adresse où mener la pauvre Diane. On se hâta d'emménager, au premier étage d'un immeuble d'un quartier modeste, et l'argent qui dormait en banque servit à meubler l'endroit décemment, et à le garnir en linge. On laissa le reste à petit placement, dans l'éventualité d'un besoin, d'une maladie, et Diane songea à prendre un métier, elle qui aurait pu vivre à l'aise si les siens l'avaient mieux aimée.

Les premiers temps, la concierge méfiante, comme on ne payait pas de loyer, crut qu'il s'agissait là d'une maîtresse du propriétaire, engrossée par ses soins, mais lorsqu'elle constata qu'hormis des religieuses, Diane ne recevait point, et qu'aucun homme ne franchissait sa porte, elle pensa qu'il s'agissait plutôt d'un acte de charité dudit propriétaire, pour la veuve d'un de ses employés, et se fit plus avenante. Diane n'avait pas l'air d'une ouvrière, et cherchait pourtant un emploi : ce fut elle, la pipelette, qui lui trouva un poste de sous-maîtresse dans une petite institution proche, qui enseignait à des fillettes jusqu'au certificat. Diane fut enfin soulagée de ses inquiétudes.
(à suivre)

1 commentaire:

  1. Ce salopard d'Hector me fait penser à un mien cousin fils vraiment unique, lui!
    Pour les chemins, on en a plein et de très longs!
    Les cultivateurs en ont besoin et les entretiennent (ceux qu'ils n'ont pas bouffés au moment du remembrement);
    C'est un rêve pour les cavaliers; on peut faire des vingt, trente kilomètres avec à peine dix minutes de routes à voitures et encore peu fréquentées.
    Quand nous faisions des randonnées avec l'AREL (randonneurs d'Eure et Loir) les cavaliers venus d'autres départements nous disaient qu'il n'y avait guère d'autres endroits en France où on peut ainsi faire dees kilomètres sans rencontrer de routes ni de clôtures.
    Seul bémol, il y a du vent et pas beaucoup d'ombre.
    Si vous venez un jour monter par ici, je vous montrerai.... rien du tout, je suis à pied désormais...
    si je vous montrerai la carte et les itinéraires.
    Oh, déjà 11 heures!! les tâches ménagères me réclament... c'est curieux, moi je ne mles réclame jamais... Commment se fait-ce???
    PP

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