dimanche 17 mai 2009

En raison du printemps différé...



Décembre

Il pleut. Incessamment, puissamment, du matin au soir il pleut et la terre saturée n'absorbe plus le flot intarissable qui la fouaille. Le vent secoue tout ce qu'il peut saisir, en rafales il souffle et tord et mord et rien, ni personne, n'est à l'abri de sa puissance.

Le long de la haie du grand pré les chevaux tassés lui offrent leur croupe, patiemment ils attendent la fin de la bourrasque de décembre et trouvent malgré tout à brouter l'herbe morte d'hiver.

Il pleut, et le flot contre la vitre murmure et chantonne insolemment qu'il faudra durer, durer et tenir le long des longs mois froids de peine et de grisaille, et le ciel tourmenté charrie de lourds nuages mouillés comme de grands lambeaux sales aux mains des lavandières.

Le sentier tracé depuis l'étable jusqu'au grand tas de fumier du fond de l'ouche, trop piétiné, est à blanc d'eau. Gluant, glissant, fangeux, il faut néanmoins l'emprunter durant de longues heures d'allers-retours incessants. Car il faut curer, nettoyer toutes ces déjections animales accumulées, d'odeur forte et puissante, lourdes à remuer, fumantes de leur chaleur bactérienne sous l'air froid, promesse de récoltes futures. Rebuts fertiles dont il convient de ne rien perdre.

Alors les mains crispées sur les bras de la brouette, il faut pousser le faix le long du sentier glissant, patauger et souffrir à pousser la charge, les bottes enfoncées dans la boue froide, écouter le chuintement de la roue ouvrir sa voie vers le grand tas de fumier du fond de l'ouche, écouter la succion du pied arraché de la boue, à chaque pas lutter, lutter pour l'équilibre, lutter pour un mètre, et puis encore un autre, jusqu'au moment de bander ses muscles et de vider la charge, brouette après brouette, incessamment, jusqu'au bout de la tâche. Puis il faut reprendre le chemin, revenir à l'étable sur ce sentier plein d'eau, les pieds macérant dans le caoutchouc des bottes mouillées, avec l'eau du ciel tombant sur le corps en douche glacée, avec le vent fouaillant les cheveux indociles plaqués sur le visage, dégoulinants et froids, grands cheveux de noyée ondulant de leur vie propre, alourdis d'eau, emmêlés et qui ce soir, rétifs au peigne ne seront plus qu'un amas noir d'herbes mortes, loin du pelage lustré des bêtes bien tenues.

Une fois de retour à l'étable, pousser alors les animaux, les mains mouillées ressaisir le manche de la fourche et d'un fort coup de reins charger, entasser dans la brouette une charge de plus, encore et encore, jusqu'à la fin, mécaniquement, puis retourner affronter la colère du ciel, les reins douloureux de cet effort vers un équilibre toujours à garder, avec l'épuisement qui gagne, et le dégoût, le dégoût nom de dieu ! d'avoir à tant peiner avec si peu de forces pour se soutenir, et la douleur dans les lombes, les épaules et les bras, les courbatures des cuisses semi-fléchies qui poussent et portent tout au long du long jour de douleur. Jour de curage, jour de labeur, jour de torture, recommencé tout au long d'une interminable semaine, jusqu'à la fin.

Il pleut. Sous le ciel sale qui dégouline de toute sa pisse, comme le long des tranchées, il faut piétiner dans la terre grasse qui dégorge à chaque pas, de l'étable au grand tas de fumier du fond de l'ouche, et retour, puisque la seule chose à faire avec la merde, c'est de l'évacuer. Curer pour assainir. Curer pour faire de la vie avec le rebut du corps des bêtes. Curer, bordel, mais souffrir et jurer tous les mots sales qui remontent comme une bile devant la douleur et l'effort. Jurer mais tenir. Jurer et parvenir à la fin, au moment où la main rejette l'outil inutile enfin ; où l'on remonte contre le mur la brouette engluée caparaçonnée de boue.

Depuis des jours il pleut, et ce n'est que Décembre. Il va falloir tenir, tout un trimestre. Cent trente jours de froidure et de soucis, d'inconfort et de peine, dans le froid et l'humide. Alors l'oeil se rive au mercure du thermomètre pendu à un clou du hangar, ce mercure qui mesure l'espoir et le découragement ; jour après jour, l'oeil guette et l'esprit suppute.

Il faut tenir.

décembre 2007, anne.

3 commentaires:

  1. oui, c'est dur l'hiver, et c'est lourd , le fumier .
    mais un jour , les chevaux sont partis et c'est le coeur qui est lourd...
    La météo est bonne pour la semaine, jusqu'à vendredi au moins..
    PP

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  2. J’adore ton style d’écriture. Il reflète bien ta pensée et surtout, décrit ton environnement à la perfection.

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  3. merci, Didier, je suis contente d'avoir su transmettre.

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