jeudi 14 mai 2009

Dans mon Berry...(4)



Crues (4)

Quand tout est rentré dans l'ordre, en attendant la crue suivante, reste l'absolue certitude d'avoir su être des hommes dans l'adversité, comme une trace évanescente, une sorte d'empreinte en arrière-plan de leur conscience. Ce qui s'est dépensé de forces physiques se trouve compensé par un gain de forces morales que l'on perçoit confusément.

On retrouve son quotidien, le cours des vies dérangé un instant réinstalle ses habitudes. On cause encore un peu, c'est l'heure des banalités. On pense déjà à autre chose. On a passé le temps de la crue ; ça finit par un soulagement.

Reste en mémoire les images des eaux encolérées répandues alentour, et l'incroyable beauté de ces bouleversements ; chaque crue possède on visage propre. Il y a celles de décembre, où l'eau sous la neige et le givre, froide et hostile, parle d'apocalypse. Il y a celles d'avril ou de mai, presque riantes sous le soleil du miroitement des eaux qui fait cligner les yeux, ces paysages bouleversés, comme agrandis, où l'on est sans repères, et ces matins brumeux où dans un bleu originel un cygne passe lentement, solitaire, là juste sous les fenêtres, à la frontière de l'aube, et l'envol d'une aigrette blanche ou d'un héron nous transporte dans les livres d'images d'un ailleurs pressenti.

Il y a ces moments où l'homme occupé à sauver ses biens, harassé de fatigue, redresse un instant son dos raidi, et se tait, et contemple. Alors passe comme un recueillement, parce que c'est beau et parce que c'est grand.

Malgré l'angoisse, la fatigue et la crainte, une sorte d'allégresse naît pourtant au coeur des hommes, en même temps qu'un genre de respect craintif pour les forces étalées là paisibles sous leurs yeux, contre quoi on ne lutte pas, mais avec quoi l'on vit. Car on vit, on vit tout de même dans ces moments de dérangement, et c'est ici que se trouve peut-être le secret qu'il y avait à découvrir : on vit tout de même. Dans ce quotidien chamboulé, dans ces alarmes, on vit : on fait avec. On peste, on tremble, on est épaté de cette nature dont on avait l'outrecuidance de se croire maîtres et qui nous remet à notre petite place de créatures fragiles, mais on vit.

Ne reste après que le soulagement d'en avoir fini avec "la crue de l'année", et quelques images d'une beauté sans pareille offerte à nos mémoires.

FIN

7 commentaires:

  1. ah, ça ne risque pas d'arriver par ici!
    Le moindre ruisselet a été canalisé: il n'a pas à passer où il veut , mais où on lui dit...
    moyennant quoi, la nappe phréatique de Beauce disparaît peu à peu, puisque l'eau ruisselle et ne veut pas aller dans les canalisations.
    Quand à la solidarité ambiante, elle a disparu avec les catastrophes naturelles;
    partout on dit qu'un sourire, ça ne coûte rien ; en Beauce on dit: un sourire, ça ne rapporte rien...
    Et , Anne, où est passé l'article sur les Centaures? Je n'arrive pas à l'attraper..
    PP

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  2. Hélas ! Pomme, suite à un malencontreux clic sur la souris mal positionnée lorsque j'ai éternué...j'ai supprimé l'article sans l'avoir voulu ! et j'ignore s'il est possible de le rattrapper...j'ai donc poursuivi par les articles suivants.
    Les drainages font aussi beaucoup de mal aux nappes phréatiques ; on draine à tout va (fonds européens...) pour pouvoir entrer sur des parcelles de plus en plus grandes avec des engins de plus en plus gros. L'eau ne s'infiltre plus...
    Un sourire, ça ne rapporte rien ? Pauvres Beaucerons....de quelles richesses ils se privent...

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  3. être le héros de son quotidien, rendu extraordinaire par l'indomptable vie sauvage qui nous entoure de son écrin,
    nous extraie de la "routine monochrome", comme tu le racontes si bellement,
    exaltant le meilleur de nous même, quand le sentiment d'être "vraiment vivant" se conjugue avec le "vivre ensemble...par delà les clivages sociaux" comme si la catastrophe naturelle était la solution à la médiocrité humaine, le remède à l'inégalité, dans le dépassement de soi pour TOUS...
    Sacrée leçon que tu nous offres à travers ton expérience!
    Ca donne envie d'enfourcher ses caoutchouc, son petit siaut, et "d' en ETRE" la prochaine fois à vos côtés
    ...car on sait que patauger dans la gadoue peut être totalement sensuel....

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  4. La Cruella, qui t'inspire " l'incroyable beauté de ces bouleversements",
    et cette personnification de la rivière en voisine maléfique, qui finalement rend meilleurs les êtres, comme sauvés d'eux même par ses débordements,
    Merci de ton regard et de ces mots choisis délectablement !

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  5. Elle est sage, la rivière, elle sait toujours exactement ce qu'elle doit faire, et elle n'est pas cruelle : elle instruit, elle initie, elle permet la transcendance - elle est Chamane !

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  6. quelles belles images dans tes mots!
    chamane m'évoque sorcier
    sorcier m'évoque le feu
    une rivière aux calmes flammes couleurs des cieux ...
    ça me rappelle un conte de Perrault dont j'étais fan enfant:
    Peau d'Ane!
    encore un caillou blanc sur notre chemin?

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  7. Encore un, Petit Poucet ! pour relier nos chemins jusqu'à nous retrouver.....

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