L'hiver était long et dur. La nuit était froide et cruelle.
Là-bas près du feu, sur le bord de la route, deux vies peinaient, l'une à naître, et l'autre à se maintenir. La femme, ses forces presque consumées, par instant inconsciente, luttait pour chasser hors d'elle cette petite vie qu'elle avait abritée, et de leur mieux, malhabiles et tremblants dans ce rôle qui n'étaient pas le leur, les hommes l'aidaient.
Le premier couinement de l'enfant, répercuté dans la nuit claire, fit dresser les oreilles des louves, aux aguets dans l'ombre. Quelque chose s'éveilla en elles, un instinct très obscur de douceur et de protection. La femelle d'Homme avait enfin fait son petit. Les deux mâles s'affairaient auprès de lui, le lavaient l'emmaillotaient, l'enveloppaient dans une couverture, nouée sur le dessus comme on enveloppe un paquet de prix.....
Chez les Loups, les avis étaient partagés. Le petit d'Homme était perçu Proie facile pour les mâles, et les femelles se sentaient plus enclines à protéger la femelle d'Homme. Elle était mère. Elle avait un petit. L'instinct les commandait. Pourtant, si elles-mêmes à cet instant s'étaient trouvées suitées, l'enfant aurait été proie tendre pour les louveteaux. Mais il n'était pas temps pour elles, et leur instinct parlait donc en faveur de l'enfant.
" La femelle a un petit", grondèrent-elles dans la voix des loups. "on ne peut pas la toucher, les petits sont l'avenir d'un clan". C'était la Loi.
" Ce n'est pas une femelle du Clan", grognèrent les mâles, "son petit est gibier comme un autre". Et ça aussi, c'était la Loi.
Lesquels l'emporteraient ? Que déciderait la Horde ? Ils n'eurent pas le loisir d'y argumenter davantage.
Soudain, des cris fusèrent. Vifs comme l'éclair, des Hommes avaient surgi de la nuit, et assaillaient les voyageurs. Tout occupés du petit d'Homme et de ce qu'il convenait d'en faire, les Loups avaient baissé leur garde, et leur vigilance s'était trouvée prise en défaut. Ils n'avaient rien senti venir.
Ils se massèrent en lisière des fourrés qui les abritaient et regardèrent. Là-bas près du feu, un des Hommes avait tiré d'une sacoche une de ces choses à tuer de loin, et faisait feu sur les assaillants. Deux d'entre eux tombèrent aussitôt. Les brigands, trop sûrs de leur fait, n'avaient pris que des couteaux et des gourdins ; un seul d'entre-eux, tombé parmi les premiers, avait une arme à feu. L'autre Homme ramassa le petit paquet où criait le nouveau-né, et se hâta de l'enfoncer au creux du buisson le plus proche. Puis d'un saut il fut à la charrette, attrapa un solide manche d'outil et vint à la bataille.
Ce fut la mêlée générale. On criait et on piétinait tout autour du feu, et la malheureuse mère, dont personne ne s'occupait plus, fut plus d'une fois foulée aux pieds par les belligérants. Les deux Hommes se battaient avec l'énergie du désespoir. Une balle perdue atteignit la mule, qui s'abattit comme une masse et resta inerte. Le cheval, affolé, se cabra et, rompant son frein, s'enfuit dans la nuit. Quelques-uns des jeunes Loups se fussent volontiers jetés à sa poursuite.
" Restez !", aboya Gris, coupant court à leur élan, "Restez ! Avant peu, il y aura ici de quoi se repaître !". Les jeunes se retapirent en silence, suivant des yeux la bataille.
L'odeur du sang parvenait jusqu'à eux, avec celle de la peur, et aiguisait leur impatience.
L'hiver était long et dur. La nuit était froide et cruelle.
Devant le feu les corps tombaient, les coups de feu partaient, les Hommes criaient. Des blessés râlaient dans la nuit, agonisants. Dos à dos, les deux voyageurs faisaient front, un brandon dans une main, une arme dans l'autre - l'un avait son arme à feu, l'autre un solide gourdin avec lequel il avait fracassé quelques crânes. Bientôt celui-là tomba, percé d'un coutelas, assommant son meurtrier d'un dernier coup donné de son dernier élan. Le dernier à tomber fut l'Homme qui tenait l'arme.
Autour des brandons dispersés qui s'éteignaient en gémissant dans la neige froide, ne régna plus bientôt que le silence. Plus rien ne bougeait. Même l'enfant nouveau-né avait cessé ses cris.
Il y eut un long moment de silence, où les Loups observèrent avant de se risquer. Puis, doucement, silencieux, circonspect, Gris s'avança, bientôt suivi de Balafré, puis de Roux, puis des autres.
dimanche 2 janvier 2011
Conte de Noël (marronnier de saison) - 5
(à suivre)
Libellés :
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oeuvre de fiction
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Ah, je suis (suivre)... donc je pense que ce gosse va être adopté par les loups et que de fil en aiguille ce sera peut-être lui l'Enfant Sauvage de Truffaut...
RépondreSupprimerEt puis je suis contente pour les loups: ils vont avoir du cadavre à bouffer...
Je sens le dernier chapitre qui approche...
Kisses
Pomme
L'homme est un loup pour l'homme!
RépondreSupprimerLa louve sauvera t-elle le bébé? comment s'appelera-t-il alors jésus ou Mowgly?
Passionnant ! Je pense que je t'ai déjà dit à de multiples reprises que tu devrais écrire et te faire publier...
RépondreSupprimerje suis sûre que les loups vont s'occuper du BB puisque plus personne ne sera en mesure de le faire .....
RépondreSupprimerla suiiiiiiiiiitttttttttteeeeeeeeeeee !!!!!
aouhhhhhhhhhh
@ Pomme : quelle imagination ! faut voir....:)
RépondreSupprimer@ Manouche : RDV demain, héhé....:)
@ Bluebird :oui oui....on verra bien....
@ Katimour : ça, pour s'en occuper.....:)
Ta plume est vraiment étonnante. Ton histoire est comme un film, je vois les images !
RépondreSupprimerMerci Framboise ! Tu sais, mes histoires, je les "vois" avant de les écrire, ou plutôt, de les décrire....c'est peut-être pour ça ?
RépondreSupprimerCelui-ci, je n'aurais pas osé le jouer pour les enfants de mon village à la fête de Noël...
RépondreSupprimerBon, je veux la suite quand même :)))
Ah, Seb, là, je crois que tu te goures ! les mioches aiment à trembler "en pour de faux", ils aiment que les héros subissent des épreuves terribles et s'en sortent à leur avantage, comme le petit poucet et les 7 filles de l'Ogre.....ils ont (c'est humain) une part de violence latente qu'il est bon qu'ils apprennent à réfréner en prenant, dans l'histoire, parti pour la bonté, la loyauté, le courage. On leur sert trop souvent du cucul neuneu, bien mièvre et trop édulcoré. Ce n'est pas quelque chose pour les tout-petits, cependant, je dirais, à partir de la primaire.
RépondreSupprimerNe t'y fies pas ! Ce moment atroce, c'est "le moment horrible où on tremble" ! celui qui permet " d'investir " le héros par l'imaginaire ! Chais pas, Pomme, t'en pense quoi, toi la conteuse ?
Et pis, t'étais prévenu, Seb ! " L'hiver était long et dur. La nuit était froide et cruelle."....☺ !
RépondreSupprimerEst-ce hurler avec les loups de dire que j'aime ce conte ?... oui, il faut que la nuit soit froide et cruelle, mais ne laisse pas le bébé dans le buisson trop longtemps ... je le vois qui bleuit !
RépondreSupprimerBonne année, Anne.
T'en fais pas, Solveig, il aura pas le temps de prendre un rhume ! :)))
RépondreSupprimerMeilleur voeux, et plein de belles choses à toi !
Et nous voilà tous suspendus à ton crayon.
RépondreSupprimer__Au secours, Anne, Annnnnnneeeeeeeeee!Ne lâches surtout pas le crayon.
T'inquiète ! encore une fois dormir, et t'as la suite ! ☺
RépondreSupprimerDe mieux en mieux !!! J'adore ! Je vais bosser et au retour je veux la suite . Bises
RépondreSupprimer" Je veux !" - et exigeant, avec ça ! 1) le roi dit "nous voulons", 2) on me dit "s'il te plaît", quand on est bien élevé ! non mais ! ☺
RépondreSupprimerAllez, je suis bonne fille, tu l'auras la suite ! ♥
Bin j'ai rien dit, alors...
RépondreSupprimerTu me le prêtes pour 2011 ?
séb
Si tu veux ! tiens, une idée...fais-le lire à des enseignants de primaire, ou à quelqu'un de la médiathèque locale, et demande-leur si EUX le liraient à des enfants, et de quel âge. Tu verras bien ce qu'ils diront....et ça me sera sans doute utile de le savoir aussi ! :)
RépondreSupprimerje suis assez répétitive, mais que de talent de conteuse ici déployé,
RépondreSupprimeravec cette intelligence de louve dans un cerveau de femme, Diantre, quelle âme!
Aouf ! j'vais rougir, dis donc !!! Merci, Dom ! bizzzz
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