A l'heure de midi
L'été, à l'heure de midi quand les ombres sont courtes, dans le village de mon enfance, je m'asseyais sur le pas de la porte, comme je le fais encore, sur la marche d'entrée. Ou encore accroupie je griffonnais dans la poussière du bout d'un bâton des signes compris de moi seule, dessinais, une petite chanson improvisée aux lèvres, à mi-voix ; ce n'était pas l'heure où l'on crie, l'heure du chahut.
De la cuisine parvenaient de bonnes odeurs de faim et les voix des miens, dans mon dos. Les assiettes tintaient, les couvercles des casseroles remués sonnaient en cymbales, les couverts arrivaient avec fracas sur la table, dans les rires entre les mots...C'était jour de fête et jour de famille, et j'attendais, désœuvrée, l'heure qui nous réunirait tous autour de la table allongée pour l'occasion et nappée de fil blanc.
Alors je disais "je vais faire un tour", à la cantonade ; l'un ou l'autre lançait "ne t'éloignes pas, on va manger", et parfois ma mère, penchée hors de l'ombre fraîche de la maison, ajoutait son rituel "fais attention quand même !" - et déjà loin, je répondais par dessus mon épaule le "oui oui !" désinvolte des enfants sans frayeurs...
J'allais ; dans ce village resserré, loin des grands axes, fier de ses quatre rues, quels risques aurais-je couru ? Une voiture s'entendait de loin, et je savais ne pas me pencher trop au-dessus de l'eau froide du lavoir...
J'allais, contente de mes sandales blanches qui claquaient sur l'asphalte, faisant faire à ma jupe des dimanches "le volant" en tournant sur moi même, fiérote. Les lézards, rapides, disparaissaient instantanément sous mes pas, au pied des vieux murs décrépis envahis d'herbes folles. Parfois j'entrais dans l'église à la porte ouverte pour y sentir le frais, un instant, humer l'air humide mélangé d'encens, et avoir l'impression de n'y plus rien voir tout à coup, le temps que les yeux s'habituent...Je ne venais pas voir " l'habitant " du lieu, invisible donc inintéressant.
Mais puisque c'était ouvert, et que mon chemin passait là, je faisais le détour. C'était sombre, c'était frais, c'était vide, j'y rêvais. Le reste...des affaires de grandes personnes, tout ça, et plutôt assommantes.
C'était amusant d'entrer dans la fraîcheur et la pénombre, ça ne l'était pas moins d'être éblouie en sortant, de sentir la chaleur écrasante peser sur toute ma peau, d'un coup, et de cligner les yeux en grimaçant. A cette heure-ci les chats avaient tous disparu, et même les chiens haletants, affalés sur le carreau frais à l'entrée des maisons aux portes ouvertes, levaient à peine la tête au bruit de mon pas, jetant un bref aboi étouffé, avant de se laisser re-choir en soupirant, baîllant et refermant les yeux.
De chacune des maisons devant lesquelles je passais provenaient le bruit des couverts maniés, des voix joyeuses, le son d'un appareil de radio, plus rarement d'une télévision, encore rares à l'époque. D'une cour venait le chant d'un coq, le gloussement des poules, dans une autre on appelait des enfants dont j'entendais les rires. Je n'avais qu'à suivre les rues, dans un rituel immuable, pour que mes pas me ramènent devant la maison, ayant pris soin au passage de tremper la main dans l'eau froide du lavoir, ou de poser sur l'eau un bateau improvisé fait de deux bâtons et d'une feuille...
Le ciel était immense et bleu si je levais la tête, et seuls mes pieds sur les cailloux frottés annonçaient qu'on passait dans la rue.
J'arrivais toujours dans une exclamation : "Ah ! Bin c'est pas trop tôt, on mange ! file te laver les mains !" - et je filais, ravie, au frais dans la maison, les mains mal séchées sur le torchon humide, prendre place à côté de ma mère, au milieu de tous les miens.
Oh, joli!
RépondreSupprimerQuelle enfance heureuse vous avez du avoir pour la raconter si bien.
PP
J'ai fait la ballade avec toi ...
RépondreSupprimerNi heureuse ni malheureuse, Pomme, c'était l'enfance de plus ou moins tout le monde...Après c'est une question de regard, et de choix.....
RépondreSupprimerMerci, Rénica ! Quel dommage que tu n'aies hélas jamais goûté le canard farci rôti de ma tante qui avait épousé un Landais ! Ah là là !
RépondreSupprimerC'est un régal de te lire
RépondreSupprimerC'est ton enfance et c'est la mienne qui refait surface
avec les odeurs de la campagne
les rues tranquilles du village ou passait une voiture toutes les heures
la robe des dimanches
les soquettes et sandalettes blanches
La nappe et les assiettes à fleurs
Et toutes ces petites recommandations de ma mère qui n'échappaient pas non plus au "fais attention à toi , reviens à l'heure " à la petite sauvageonne que j'étais et qui grimpait aux arbres
Tes souvenirs ressemblent beaucoup aux miens ..l'essentiel est le même
la chance de de grandir avec des valeurs simples mais si riches en belles sensations
et t'écris si bien que j'ai presque envie de lire tout haut comme au temps de lécole primaire pour mieux m'en impregner ..SAVOUREUX
Superbes tes souvenirs et tes mots
j'ai oublié de te dire que ta nouvelle tapisserie sent bon l'air de la campagn e
RépondreSupprimerQu'elle est jolie à regarder
Que tu as fait du bon boulot
que moi j'ai deux mains gauches et que j'arrive pas à faire ça .malgré moult esais
Et puis j'ai oublié de te souhaiter une bonne soirée ...
Merci, Lyse...n'hésites pas : lis tout haut ! entendre la musique d'un texte est un bon exercice...
RépondreSupprimerSinon, pour les problèmes de tapisserie, demande à l'Oiseau ! c'est un as.
Bonne soirée à toi aussi
En este tiempo anne
RépondreSupprimerpara descansar,
amar, sentir y vivir
todas las sensaciones
que den paz,
sosiego y
tranquildad a nuestro corazon.
Desde mis HORAS ROTAS,
y AULA DE PAZ
un afectuoso abrazo y
cariño compartido
siempre desde el alma
saludos
de amistad:
---Jose Ramon---
Bienvenue, Jose ! Je ne parle hélas pas ta langue, mais demain une amie va me traduire ! Je perçois juste que c'est sympathique, ton com, et je t'en remercie déjà.
RépondreSupprimerAnne, ton billet me fait penser aux vacances d'été chez mes grands parents, la même impression de photo sépia, un peu poussiéreuse et qui vous plonge dans le gouffre du temps.
RépondreSupprimerL'oiseau
C'est que, vois-tu, l'Oiseau, tout le monde a eu une enfance....mais tant de gens oublient, avec l'âge, il faut bien secouer la poussière de temps en temps...
RépondreSupprimerOui Anne, tu as raisonn tout le monde a eu une enfance, mais celle que tu décris, avec tes mots si sensibles, me plait bien. La mienne ne serait pas si savoureuse à décrire, je ne fais pas d'apitoiement, juste je savoure ce que tu décris et retrouve aussi ce que j'ai pu ressentir quand le hasard m'a amenée enfant dans la nature. Le vrai reste le vrai. Bises et merci pour ce bol d'air.
RépondreSupprimerTu vivais en ville, Kat ? Moi aussi, tu sais, le village était en fait celui de ma grand-mère maternelle...L'idée, vois-tu, c'est de ne passer à côté de rien, autant que possible.
RépondreSupprimerBises !
C'est fabuleux de réveiller ainsi ton enfance et la notre en même temps ! Un grand bravo à toi, Anne !
RépondreSupprimerça nettoie, disons. Bises, Carole...
RépondreSupprimeroh mais
RépondreSupprimeron a eu la même enfance...du moins dans les décors, les paysages...
Bonjour, M'enfin ! ah ? y a des ressemblances ?
RépondreSupprimerComme quoi tu vois, nous ne faisons attention à rien : il faut que d'autres nous le redisent pour qu'on s'apercoive que...
Alors, souviens-toi !
superbe ! j'ai grandi à la campagne et je comprends bien ce que tu exprimes
RépondreSupprimerMerci,Jorge,j'en suis certaine !
RépondreSupprimerquelle est charmante cette comptine apéritive, qui nous plonge dans le clair-obscur frais tiède de l'enfance;
RépondreSupprimeravec ces gestes minutieux, ces lumières, ces musiques culinaires...
quel talent de conteuse!
Merci, Dom, c'est que tu vois, en l'écrivant, j'y "étais" de nouveau, ou bien peut-être ne l'ai-je jamais quittée, cette scène si souvent vécue.....
RépondreSupprimerQuelle magnifique escapade: j'ai l'impression de me balader avec ta petite 'toi'.
RépondreSupprimerCe que tu écris est si vivant! On sent tout : les odeurs, la chaleur de l'été, on imagine l'église. D'ailleurs j'ai toujours adoré les églises moi aussi, même maintenant je tanne mes amis pour se réfugier dedans.
On ressent l'amour que tu portes à ces souvenirs, aussi. Je crois que ce texte va me rester en mémoire... :)
Ah ! C'est que tu vois, tout est encore là, tout près, qui palpite en mémoire et qui revient dès les "vrais" beaux jours....ces chaleurs du Centre de la France et nos vieux villages endormis.....contente que tu te sois promenée un peu !
RépondreSupprimerSi tu n'as pas encore lu "Sido", de Colette, fais-le ! tu ne seras pas déçue non plus...:)
Magnifique, Anne :) Merci!
RépondreSupprimerC'est à moi de remercier, je suis heureuse que ce texte plaise. :)
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