Bernard (9)
Durant plusieurs soirs, sa fenêtre ouverte sur la nuit, il fit le tour de la question en quelques insomnies et beaucoup d'hésitations. Un matin enfin il se leva, déterminé. Le choix était fait.
Il partit tôt, à pied, il avait besoin de marcher. La ville autour de lui s' agitait déjà, et il prenait plaisir à cette agitation. Il s'y était fait à la foule et à son mouvement spasmodique, le vertige qui l'avait saisi à sa sortie de prison avait depuis longtemps disparu, et Bernard, qui pendant deux décennies de sa vie d'homme n'avait plus eu que des murs comme seul horizon, s'emplissait les yeux de tout ce qu'il pouvait, comme pour compenser toutes ces années obscures. Aujourd'hui plus que les autres jours cette agitation lui était essentielle, et il forçait l'acuité de son regard, pour ne rien perdre de ce trajet matinal au milieu de la ville haletante.
Il trouva l'homme qu'il cherchait, penché, déjà graisseux, dans le capot ouvert d'une camionnette sur le retour, dans le garage qu'il tenait dans un quartier éloigné. Bernard, immobile, attendit patiemment que l'homme se redresse et que ses yeux, relevés machinalement, croisent les siens. Ils se saluèrent brièvement, d'un mot et d'un court signe de tête. Bernard connaissait plus ou moins Fernando. Il faisait parfois bosser au noir, par-ci par-là, ceux des gars du Foyer qui avaient des notions de mécanique, José entre autres, mais ne bornait pas ses activités à la seule restauration des tacots malmenés, et son garage était le siège d'un business souterrain tout autant que fructueux. Quand Bernard avait accompagné José sur les lieux la première fois, celui-ci lui avait glissé, discrètement, en arrivant :
- "Ici, tu trouves tout ce que tu veux. Tu entends ? Tout. Si tu payes. Faut toujours payer. Cash. Sinon tu le regrettes. On le baise pas, Fernando. Tu entends ? On ne parle jamais de lui, non plus. Tu viens, tu dis ce que tu veux, il te dit combien, c'est pas négociable, tu dis oui ou non, et quand. Tu viens avec l'argent, tu pars avec ta commande. Et tu tais ta gueule. Tu entends ?"
Bernard avait entendu. Il avait aussi retenu. Il avait opiné, en silence, et s'était éloigné pendant que José discutait. Il avait revu plusieurs fois l'homme, en venant chercher l'un ou l'autre à l'occasion. Mais cette fois il venait pour le voir, spécialement. Aujourd'hui il venait pour affaires.
Fernando l'interpella depuis son moteur, s'essuyant les mains à un chiffon repoussant de crasse :
- "Alors ? Y a quoi pour ton service vieux ?
- Une arme de poing. Sérieuse."
Fernando, immobilisé, avait vrillé ses yeux dans les siens, les paupières plissées, et pesait Bernard de toute son expérience.
- "T'as des courses à faire vieux ?
- Ça me regarde. Faudra le charger le flingue."
Un silence tomba, les deux hommes immobiles se regardaient toujours. Fernando semblait réfléchir à toute vapeur tout en pesant Bernard, qui attendait, et il pouvait lire clairement dans les yeux de celui-ci que tous ses choix étaient faits, c'était cela qu'il voyait dans les yeux de Bernard, Fernando, une détermination, farouche, mûrie. Et désespérée. Le gars qu'il avait devant lui venait de laisser la vie derrière. Il hocha la tête, désabusé. "Encore un...", se dit-il. Après tout, ce n'était pas son affaire. Son affaire, c'était son business, et de pas tomber. Bernard lui paraissait réglo.
- "OK. Tu connais le topo ? Cash. Et tu tais ta gueule.
- C'est bon. Combien ?
- Mille cinq cent. Pas négociable.
- Chargé ?
- Chargé, et de quoi remettre. Complet.
- Je prends. Disons vendredi ?
- Vendredi vingt heures. Ici.
- Ca va. A vendredi.
- Salut !"
(à suivre)
Bon, c'est pas la Trappe...
RépondreSupprimerMais où vous avez pris ces dialogues???dans des polars ou dans des bistrots???
Ou c'est le fantôme d'Audiard qui vous habite?
J'adore!
PP
Vous saurez tout dans quelques jours, Pomme...
RépondreSupprimerOui un vrai polar...Anne enlève ton masque !
RépondreSupprimerça vient, Rénica...
RépondreSupprimerAnne, j'ai pris l'histoire de Bernard avec du retard, mais me voilà attendant la suite... Tu écris très bien, on est avec lui, je ne sais si tu l'as "amené" à nous ou l'inverse. Bises.
RépondreSupprimerMoi non plus, Kat, je ne sais pas ; mais j'ai dû le porter toute ma vie sans le savoir...
RépondreSupprimerD'où vient ce qu'on écrit ?
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RépondreSupprimerBin lyse ? j'ai pas eu le temps de te répondre ! les fautes de frappe, c'est pas grave...bises !
RépondreSupprimerHi Hi Anne l'extralucide
RépondreSupprimerOui t'as bien vu, j'ai énlevé mon commentaire
parcequ'il était écrit en vrai charabia ;-)
même moi en le relisant j'me comprenais plus (rire)
je reviendrai le réécrire
P'tite bise en passant
Ton récit est tellement "vivant" et détaillé que les émotions de Bernard deviennent de plus en plus palpables: son tourment et une certaine determination
RépondreSupprimersacré suspens
Tes Dialogues, Anne, sont ceux d'un bon fim (polar) qui nous tiennent en haleine
Pourquoi un flingue ? Fais pas le c..Bernard !
Et escuse moi Anne d'avoir supprimé mon commentaire sans explication)
Repetite bise
Pas de problèmes ! mais j'en connais qu'auront drôlement besoin de vacances, là, ouh là làààà....!!!
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