mercredi 17 juin 2009

Bernard d



Bernard (4)

Il pleura longtemps. Il sentait sa peur et sa faiblesse. Comment allait-il s'en tirer ? "Avant", il avait été un voyou, il ne savait même plus comment ça c'était fait, il n'aimait pas l'école, il n'aimait pas ce boulot qu'on lui avait trouvé, avec les copains ils rêvaient de fric et de filles, de vie facile, de frime, d'esbrouffe...Ils roulaient des mécaniques, ils y allaient à l'épate avec les filles, ils aimaient faire la fête... Lequel, un jour qu'ils étaient fauchés, lequel en ricanant avait eu l'idée du premier vol ? Ils avaient ricané aussi, gênés, puis ils avaient "monté le coup", excités, puis ils avaient agi... Ils n'avaient pas vu plus loin que le besoin d'argent et leurs envies de jeunes hommes pleins de sève, mais vides de buts... Au début ça avait marché et le pognon leur coulait des doigts, ils aimaient la peur, excitante, qui les accompagnait dans l'action et cette sensation de puissance après chaque coup qui avait marché, jusqu'à la première chute. La première arrestation, la première garde-à-vue, le premier tribunal, la première cellule... Les filles draguées dans les baloches entre deux séjours en taule, puis Josie qui lui avait bien plu, il lui avait été presque fidèle à Josie, tant qu'il avait été avec elle il n'était plus allé que sur les putes Bernard, il avait des principes... et y avait eu le braquage, voilà, la vieille qu'il avait plombé sans le vouloir, les vingt piges et Josie qui l'avait planté dans sa misère, il comprenait Bernard, elle était jeune Josie, elle voulait une vie, une maison, des gosses... Elle n'aimait pas tout ça, Josie, elle aurait voulu qu'il se range mais il n'était pas prêt, Bernard, il était trop jeune, et trop con aussi. Vingt piges. Il avait eu le temps de vieillir, Bernard. Ces vingt ans, il avait attendu, simplement - il avait tué le temps qui les tuait, comme les autres. Il s'y était fait, à la taule. Il savait tout de ce monde-là, et rien de celui où il débarquait. Il sentait qu'il n'était pas à la hauteur. A peine sorti de l'enfance il avait pris la traverse, et après il avait plongé ! Comment allait-il faire son trou là-dedans ? Il crevait de trouille Bernard, de misère et d'angoisse, il avait peur de ce monde dont il ne savait rien, il allait pas y arriver c'est sûr, l'avenir lui foutait les jetons, voilà, et son passé l'étouffait comme une bouchée de pizza molle, gluant et pâteux, à quoi il ne pouvait plus rien changer.

Il pleurait, et il était heureux d'être seul et de pouvoir enfin chialer tout son saoul, en taule c'était la seule chose à ne jamais faire. En taule, tu n'es qu'un morceau de viande qui vit. Ne pense pas. Ne ressens pas. Obéis. Reste sur tes gardes, toujours. Ne livre rien. Ni pensée, ni sentiments : la survie. Ne tends pas la main, c'est une faiblesse. Personne ne te tendra la sienne. La Loi des Fauves est au pouvoir. Cruauté et humiliations, pour que tu comprennes bien que tu n'es qu'un étron qui vient de tomber dans les chiottes. Ta place est désormais dans les déchets, acceptes-le. C'était ça, la Voix de la Prison, l'Echo de la Justice. Alors seulement, seulement, au bout de tout un temps de ta vie, si tu admets ce fait de n'être qu'un déchet, mauvais, honni, pourri jusqu'au fond de l'âme, donc inférieur à tous les autres hommes, alors seulement on commencera à envisager la possibilité de te remettre parmi les hommes libres, mais à la dernière place. Prépares-toi à souffrir, et à peiner beaucoup. Tu peux remonter, on te permettra de te remettre debout, mais pas quand même sur le même pied que les autres, hein, après tout tu as fait de la prison, faut pas déconner tout de même, on t'accordera le bénéfice de la rédemption, mais pas la valeur des purs quand même, quand même voyons. Surtout si tu as tué. Cette souillure-là ne s'efface jamais. Bernard sentait cela, pour la première fois il sentait cela, il comprenait ce qu'il avait fait, il comprenait ce qu'on lui avait fait, et il tremblait de peur en reniflant sa morve. Ça le secouait tout entier. Il tremblait et hoquetait sur ce lit pouilleux, dans cette chambre d'hôtel anonyme, se vidait enfin de vingt ans de marasme et de toute sa jeunesse gâchée.

Il ne se sentit mieux qu'après avoir vomi. Il reprit son poste à la fenêtre, et longtemps resta à regarder vivre les autres, fasciné. Il n'avait sorti que son réveil de ses affaires, et regardait parfois l'heure. David ne lui avait pas dit combien de temps on mettait pour se rendre au Foyer, il craignait d'arriver en retard. Le temps refaisait son entrée dans sa vie, il sentait qu'il allait avoir du mal à découper ses journées en morceaux Bernard, l'existence étirée des prisons lui avait fait perdre cette notion-là. A dix-neuf heures il se dit qu'il fallait qu'il parte, et il ne pouvait se résoudre à passer la porte. L'idée de sortir le tétanisait. A dix-neuf heures trente on frappa et il sursauta :
- "Ouais ? Qui c'est ?
- Bernard ? Tu ouvres ?"

(à suivre)

6 commentaires:

  1. Pauv'Bernard....


    L'étre... c'est un qui est ce que n'est pas Rinaldo...
    PP

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  2. C'est fort. C'est très fort. La suiiiiiiite, viiiiiiite!!!

    L'oiseau

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  3. Pomme : oui, pauv'Bernard ; même s'il l'avait bien cherché, fallait-il le réduire à ça ?
    L'Oiseau : Aouf ! Euh, oui, oui, d'accord ! Lààà, caalme !

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  4. Prenante lecture .. la personnalité de Bernard s'étoffe...
    vingt ans de sa vie dans ce vide carcéral ..l'enfermement de soi, des émotions ..Terrible!

    Et le réveil douloureux dans ce retour à la vie
    Bernard est sorti de prison encore plus abimé qu'avant , plus fragilisé

    J'attends la suite avec impatience

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  5. Je me suis trompée..j'ai pris le pseudo de mon autre blog
    C'était Lyse d'"Au fil de mes reveries "
    mais tu l'auras compris ;-)

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  6. Hi hi, oui Lyse, je savais que c'était toi, je me suis promenée ! puis, j'avais reconnu ta voix...

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allez, dites-moi tout !