Mon Paul à moi...
Mon Paul à moi n'écrivait pas de poèmes. Je n'ai seulement jamais su s'il aimait à en lire. On ne peut pas dire qu'il parlait beaucoup de lui... Mais il aimait la langue française des tragédiens et choyait volontiers La Fontaine.
Mon Paul à moi n'a jamais été riche, mais il savait compter et n'a jamais manqué de rien - il avait la sagesse de se moquer de l'inutile, savait tout faire de ses mains et ne ménageait pas sa peine. Il éleva quatre enfants du fruit de son travail.
Mon Paul à moi n'aimait pas perdre son temps ; à douze ans il voulut être son maître et trouva, de lui même, un maître d'apprentissage, pour gagner sa vie seul, et avoir la fierté de manger son pain et non celui de son père. Tant qu'il put, il travailla.
Mon Paul à moi n'a pas eu de jeunesse. A l'âge où l'on rit aux filles il courait sous les bombes, et ramassait les morts. Le regard de ses vingt-cinq ans me hante sur la photo de ce temps-là.
Mon Paul à moi avait un fichu caractère, et un coeur d'or. Les mots d'amour qu'il ne savait pas dire, pourquoi n'avons-nous pas su les entendre ?
Mon Paul à moi, un jour, vit ma première expo, du temps où je pensais encore à peindre ; ce jour là, il pleura, et me fit le premier compliment que je reçus de lui ; j'avais vingt-trois ans. J'ai cru ne jamais m'en remettre.
Mon Paul à moi, j'irais bien le revoir au fond de son atelier, devant son établi, m'asseoir à côté de lui et bavarder comme ça, de tout de rien, du temps qu'il fait, du temps qui passe, écouter ses silences et tout ce qui ce qu'ils contenaient... laisser sa parole, d'un mot à l'autre, prendre assurance jusqu'à ce qu'enfin, derrière la difficile pudeur des hommes, il apparaisse un peu, pour moi, une heure ou deux.
Mon Paul à moi, c'était mon père.
Il ya dans ma vie un Paul, dont je n'ai connu que les livres; il était instituteur, il est mort à trente ans pour s'être affaibli dans les tranchées et parce que la pénicilline n'était pas inventée. C'était mon grand-père et je lui doit d'avoir lu et aimé Racine a douze ans. Une édition des Mystères de Paris dont il manquait le premier volume; j'ai du attendre la réédition de Jean Hedern Hallier pour savoir d'où venait Fleur de Marie (La Goualeuse).Je lui doit aussi le Capitaine Fracasse Et le bonheur de découvrir les caisses de livres seule dans le grenier pendant que mon frère et mes cousins mettaient à sac la maison et le jardin.Il aimait Lecontes de Lisle et José Maria de Hérédia. C'était mon grand-père.
RépondreSupprimerJe vais aussi lancer le jeu sur le blog; car je ne connais que trois bloggeurs et c'est vous autres qui me l'avez envoyé.
comment se passent les foins???
PP
Le père de mon père aussi se prénommait Paul, et fut gazé à Verdun. Il survécut, et fut encore plus silencieux que son fils. Mais son regard était vif et souriait quelquefois, un étrange regard bleu pour les gens de chez nous : où avait-il pêché cet azur inhabituel parmi les nôtres ?
RépondreSupprimerQuel beau texte Anne, j'en ai les larmes aux yeux et je pense à mon père qui ne savait pas dire... Non plus ! Merci de tout coeur.
RépondreSupprimerde rien, Carole, c'est plus ou moins ton blog qui m'a inspiré ce texte, à cause des Paul qui écrivirent et que tu cites...! Alors nos pensées se répondent ; un homme, c'est souvent d'abord un silence ; à nous d'être des interprètes...
RépondreSupprimerComme il est beau, ton article. Cet hommage à ton père me fait penser à mon grand père, j'ai comme l'impression qu'ils auraient pu s'entendre. Il me manque aussi.
RépondreSupprimerMerci pour ce moment d'émotion.
L'oiseau
Merci, l'oiseau. Oui, je pense qu'ils auraient pu s'entendre.
RépondreSupprimerCe texte est magnifique, tout simplement
RépondreSupprimerMerci, Jorge, bonne visite !
RépondreSupprimerBon je crois que je vais garder pour demain tes autres articles, je pleure devant mon écran, ce texte, Jorge a raison, est magnifique, j'aurais aimé l'écrire, mon père s'appelait Henri...
RépondreSupprimerheureusement, Kat, on ne passe pas son temps à chialer sur mon blog ! il y a de tout, c'est plus un blog, c'est un grenier ! merci de ton passage, et de tes mots.
RépondreSupprimerà lire tes mots, me revient ce conte où une jeune fille à la fontaine ayant abreuvé une vieille femme,
RépondreSupprimereut pour récompense de voir chacun de ses mots transformé en perle…
tu écris comme on brode,
de l’art du dicible tu fais de la belle ouvrage,
chapeau bas ma Dame anne
Oh, Dom, tes mots valent bien des perles aussi ! je m'en ferais collier pour m'en aller sortir....
RépondreSupprimerderrière ces mots choisis, on sent le fleuve contenu que tu pourrais laisser couler, si tu ne craignais peut être de trahir le secret de votre amour, de révéler à l’inconnu de quelle étoffe magique cet amour filial est toujours faite ;
RépondreSupprimerà la lisière du privé et du public se tient la trame de toute une vie ;
que dire, à qui, pourquoi et que garder par devers soi…. du roman fondateur entre le 1er homme de sa vie et la petite fille qui jamais ne s’en départit ?
des prénoms et des hommes…
RépondreSupprimerun grand oncle paternel, auteur d’un joli livre « La Baleine » se prénommait aussi Paul, Gadenne,
et c’est le prénom donné à mon aîné, corsé à la sauce ibérique : Pablo afin que l’Espagne y pousse un peu sa corne, et pas de brûmes !