Monsieur Hector - 1
Monsieur Hector adorait péter le matin. A peine était-il levé, qu'encore en robe de chambre, il s'allait planter sur le perron de sa porte de derrière, à l'office, et contemplant l'allée droite bordée de buis taillés qui menait aux jardins, il pétait. Il pétait joyeusement, dans l'allégresse, aux matins des belles saisons, mais tristement, avec une certaine mélancolie, dans la grisaille dénudée des longs mois froids, tout en fumant sa première cigarette. Cet exercice, accompagné de bruits variés, de modulations musicales et de sonorités innovantes, lui procurait en tous temps d'intenses satisfactions.
Ayant dûment pété tout son saoul, il s'en allait ensuite à un petit déjeuner roboratif, passait à son bain, se vêtait selon le temps qu'il faisait, et s'apprêtait à jouir d'une longue journée d'oisif, car Monsieur Hector était rentier.
Il jouissait, c'est peu dire, d'une confortable aisance. Il habitait une vaste et belle propriété, bien enclose de hauts murs, avec maison de maîtres et communs, avait du personnel de maison, et dans ses écuries reconverties en remise pour automobile, avait voiture ouverte ET voiture fermée ! Il partait en villégiature l'été, d'abord en ville d'eau puis aux bains de mer, et laissait à son notaire et à son banquier le soin de gérer ses biens au mieux de ses intérêts, ce qui ne pouvait que servir les leurs.
Cet inactif avait peu de passions, mais elles le tenaient bien. Fin gourmet, il payait très convenablement son personnel de cuisine, et possédait une ferme non loin de la ville, qui rapportait et fournissait laitages, oeufs, volailles fines, viandes savoureuses. Son fermier était de valeur, et savait faire valoir son bien. Mais c'est à ses jardiniers que Monsieur Hector confiait, autour de sa maison, les soins du maraîchage et du verger.
C'était sa marotte ; ses plates-bandes fleuries, son jardin paysager, avaient déjà belle réputation. Mais rien n'égalait ses potagers,, ni ses vergers. Ce collectionneur avisé avait réuni là les meilleures et les plus rares variétés de légumes et de fruits.
Il les choyait avec amour, c'est à dire qu'il les passait en revue plusieurs fois par jour, et éreintait ses jardiniers de travail et de conseils. Son bureau - car ce rentier avait un bureau - débordait de revues d'horticulture et d'ouvrages de botanique, et Monsieur Hector, en tout cas en théorie, était sur le sujet un véritable puits de science. En théorie, car jamais Monsieur Hector ne tint un outil de sa vie.
Il avait depuis longtemps délaissé les femmes, le jeu et les chevaux, ces trois passions des jeunes gens du beau monde : le jeu eût mis ses avoirs en péril, les chevaux avaient manqué lui rompre le cou, et les femmes avaient fui.
Il se consola dans l'étude de la botanique, dont un de ses précepteurs lui avait donné le goût, et réduisit ses plaisirs à ceux de la table, les autres vices des hommes étant inaccessibles. Ainsi, ayant fui les excès habituels qui font parler de soi dans le monde, il se composa une vie sage, retirée, toute entière tournée vers ces deux orientations, les plantes et la table, et joignit ses deux passions dans son verger et dans son potager.
Les années allant, le cercle de ses relations se restreignit, et l'on cessa dans le monde de savoir qu'il existait ; on ne l'invita plus, il ne s'en plaignit pas. Son tour de taille s'arrondit à chaque repas, ses jardins prospérèrent, et Monsieur Hector vécut heureux sa petite existence routinière. Il invitait, une fois par mois, les quelques relations qu'il avait su garder : son médecin, son notaire, son curé, et son libraire, à un repas des mieux fournis en mets délicats, suivi d'une promenade digestive dans ses jardins. Ses quatre commensaux en avaient vanté ailleurs les mérites, et si beaucoup en avaient entendu parler, peu les avaient jamais visité. Mais on savait partout que les jardins de Monsieur Hector étaient sans rivaux.
Il y avait une roseraie, où l'on trouvait disait-on au moins un exemplaire de chaque variété connue, et si bien agencée qu'on ne se lassait pas d'en parcourir les allées sablées dans le temps de la floraison - et ça sentait si bon, dans la fraîcheur au soir des premières chaleurs de mai, que les promeneurs aimaient à longer les hauts murs de clôture pour jouir au moins, par l'odorat, de ce jardin merveilleux.
Il y avait profusion de lilas, puis des glycines, des jasmins, des lavandes, tout un monde odorant qui se succédait aux narines averties, mois après mois, jusqu'aux durs froids d'hiver. Ces plantes, on les savait présentes, et en nombre, de par leur fragrance épandue alentours, mais peu avaient pu contempler la splendeur des parterres, des fleurs et des arbustes, et les serres où plantes et fruits rares ou fragiles s'épanouissaient sous les soins assidus des jardiniers harcelés, serres chaudes notez bien ! où l'on sentait dès l'entrée l'impression des chaleurs tropicales : une pour l'Afrique, une pour l'Asie, une pour les Amériques, et l'on s'ébahissait.
Puis venaient les jardins maraîchers, qui fournissaient fruits et légumes en toutes saisons, pépinières, serres et châssis soigneusement agencés, judicieusement utilisés dans les règles de l'art, où l'on trouvait les meilleures variétés de chaque plante, et aussi les plus rares et les plus surprenantes, voire les plus exotiques.
Enfin venaient les vergers. Ah ! les vergers ! Qu'ils étaient beaux à voir sous le ciel bleu d'avril, quand tantôt blancs, tantôt roses, des nuages de pétales éclosaient sur les arbres encore à peine garnis de feuilles ! comme ils bruissaient d'abeilles affairées ! Qu'ils promettaient de plaisirs ! Il y avait les arbres de plein vent, d'autres menés en cordons, d'autres encore, en palmettes, et l'on songeait déjà, en admirant cette floraison déraisonnable, aux confitures, aux compotes, aux pâtes de fruits et aux conserves de toutes sortes qu'on ferait de ces fruits divins, que l'on voyait par anticipation garnir les compotiers de cristal du déjeuner mensuel. Car ils étaient beaux, les fruits de Monsieur Hector, savoureux, toujours servis à point, des fruits parfaits et sans défauts, charnus, diaboliques de tentations gourmandes !
Aussi aucun de ses convives habituels n'aurait manqué un seul de ces repas, bien qu'ils se fussent volontiers passé de leur Amphitryon, celui-ci, n'ayant d'autre conversation que la botanique, étant d'un ennui foudroyant pour qui le pratiquait plus d'une heure. Ils se consolaient dans leur mutuelle compagnie, se distrayant les uns les autres, et supportaient ainsi plus aisément ce petit être inconsistant, qui, néanmoins, avait fait naître tant de merveilles. Monsieur Hector, toujours jovial et souriant de contentement, après qu'on l'eût un peu laissé parler de ses plantes vénérées, écoutait ses invités discourir de chasse, de femmes - et pour eux il s'agissait là d'une variante du même exercice - de chevaux, et du reste, un peu perdu dans l'évocation d'un monde qui n'était plus le sien ; dans ces déjeuners mensuels il avait mis tout ce qu'il pouvait encore avoir de sociabilité, et cela lui convenait parfaitement.
Monsieur Hector vivait seul, et on le croyait sans famille depuis la mort de ses parents.
(à suivre)
Ah, ce monsieur Hector me plaît bien!
RépondreSupprimerNous avons des passions communes.
moi c'est dans la baignoire que je préfère péter, ça fait des bulles et des glousglous, ça chatouille!
et les concours, donc! avec mon frère et mes cousins... et moi je trichais : il était défendu de manger des haricots secs un jour de concours, mais (ce que c'est bête les garçons!) ils ne savaient pas que les artichauts sont tout aussi efficaces et ils n'aimaient pas les artichauts et moi, si!
J'ai gangné souvent , ce qui était juste puisque j'était l'ainée et la seule fille.
Je voulais vous joindre un poème que j'avais composé sur le sujet, mais je ne retrouve plus cette pièce d'anthologie; en revanche, je trouve un extrait de la Tentation de St Antoine de Flaubert qui parle de Crépitus...
Je vais le mettre sur le blog pas demain , mais vendredi
Bonne nuit
PP
Hélas ! vous risquez de déchanter ! son attirance pour les plantes pourrait bien être sa seule vertu... Notez que ça lui en fait au moins une...
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